Echoes of Art Deco, Fondation Boghossian


Michel Polak, La Villa Empain, 1930 © Fondation Boghossian / photo Thibault De Schepper

Dans le contexte de la commémoration du centenaire de l’Art Déco en 2025, la Fondation Boghossian présente une superbe exposition représentative de ce mouvement incontournable. Pour rappel, le style Art Déco est l’abréviation de ‘Exposition internationale des arts décoratifs et industriels modernes’ qui s’est tenue à Paris en 1925. L’Art Déco est l’une des conséquences d’un mouvement de portée mondiale, en rupture avec l’académisme officiel, et qui dès les années 1880 suscite des rapprochements entre l’artisanat et l’industrie. Ces contacts se concrétisent au tournant des 19e et 20e siècles, d’abord dans l’Art Nouveau avec ses volutes ornementales inspirées de la nature, ses débordements, ses asymétries et sa polychromie. En réaction au style Art Nouveau, l’Art Déco propose ensuite un contrepoint davantage rationaliste. C’est dans ce contexte que la Villa Empain — aujourd’hui la Fondation Boghossian — est conçue par Michel Polak en 1930.

Villa Empain, Edgar Brandt et Alfred François, détail du travail de ferronnerie
© Fondation Boghossian / photo Georges de Kinder
Villa Empain, Edgar Brandt et Alfred François, détail du travail de ferronnerie
© Fondation Boghossian / photo Georges de Kinder

Que l’on ne s’y trompe pas: sous des dehors austères, la subtilité des nuances se cache partout. Un luminaire, niché au plafond comme le serait un nid d’hirondelles, en offre un magnifique exemple. La structure carrée donne le ton. Mais à bien y regarder, ces carrés et ces cubes agissent comme des formes réversibles génératrices d’illusions d’optiques en deux ou trois dimensions. Les arrêtes noires jouent le même jeu, puisqu’elles se déclinent en plusieurs épaisseurs, imperceptibles au premier regard. L’œil hésite, il s’active.

Villa Empain, vue de l’intérieur © Fondation Boghossian / photo Laetitia Van Hagendoren

Une vue d’ensemble confirme à plus grande échelle cette hésitation, car si la rigueur de la verticalité domine, elle s’associe aux divers caractères des marbres, des plus clairs aux plus foncés, de teintes et de veinages tous différents. Sans compter les textures des portes en bois rares, et les propriétés spécifiques des verres choisis pour diffuser l’éclairage électrique. L’ensemble, y compris les sols et les plafonds, devient ainsi une suite de variations au cœur de la roideur, comme si la rigueur se transformait en palpitations visuelles. Paradoxalement, la pierre se change en épiderme. La magie de cette architecture mélange la vision (de loin) et le toucher (de près), voire la senteur des matières exotiques.

Villa Empain, vue de l’intérieur © Fondation Boghossian / Photo Silvia Cappellari
Villa Empain, vue de l’intérieur © Fondation Boghossian / Photo Silvia Cappellari

L’Art Déco refuse de jouer la carte de l’ostentatoire et du clinquant, au profit de la subtilité et de l’élégance raffinée, partout. L’élite financière n’ayant pas été lésée par la Première Guerre mondiale, elle jouit même des dividendes de la reconstruction des pays dévastés. En Belgique elle bénéficie en plus des immenses retombées venant du Congo lorsque Léopold II a légué sa colonie privée à l’État belge en 1908. L’époque est aux entrepreneurs amateurs de risques et qui n’ont pas froid aux yeux. Ils suscitent et tirent profit des progrès incessants de l’industrie depuis la seconde moitié du 19e siècle, et tiennent à le faire savoir. En témoigne leurs lieux et trains de vie, ainsi que le mobilier et les objets — des plus grands aux plus petits, des plus usuels aux plus rares — les plus luxueux et personnalisés, fabriqués sur mesure si nécessaire.

HUB. DUP. (Hubert Dupond), affiche, 1932, collection privée © Tous droits réservés
HUB. DUP. (Hubert Dupond), affiche, collection privée © Tous droits réservés

Les progrès industriels permettent, entre autres, le développement de la production de masse telle que celle de l’automobile, mais aussi des moteurs diesel des navires et le kérosène des avions, de plus en plus performants et confortables, ce qui facilite les contacts internationaux et intercontinentaux. L’énergie et la vitesse qui symbolisent la modernité raccourcissent les distances et deviennent des critères fondamentaux. La première communication téléphonique internationale a lieu en 1927, et la radio connaît un développement fulgurant au sortir de la Première Guerre mondiale, au point de devenir très vite un objet et un outil parmi les plus populaires. Posséder une radio, disposer d’un téléphone, c’est être branché sur le monde en permanence, et inviter le monde à domicile.

Villa Empain, vue de l’intérieur © Fondation Boghossian / Photo Silvia Cappellari
Robe Charleston, 1926-1927, Mousseline de soie brodée de perles-tubes
© Musée de la mode et de la dentelle, Bruxelles

Une vie réussie devient un spectacle dans lequel il faut voir et être vu à son avantage. F. Scott Fitzgerald, auteur de Gatsby le Magnifique, célèbre ‘un mouvement né dans le champagne d’une paix retrouvée’. Les usines à rêves fleurissent, comme les cinémas ou les automobiles. Les corps se libèrent, les femmes enfilent désormais une gaine qui avantage le corps sans le torturer comme le faisaient les corsets. L’insouciance et l’opulence se déploient aussi aux restaurants et aux dancings. On y danse le charleston, mis à la mode par Josephine Baker, avec son tempo rapide et ses déplacements du corps d’une jambe fléchie à l’autre. Cette énergie nécessite un vêtement adapté, qui est vite adopté, avec ses matières, ses accessoires et ses coupes inhabituelles qui incarnent le glamour. De son côté, Coco Chanel, symbole de l’élégance française, imagine des vêtements féminins simples et pratiques, destinés aux femmes actives et dynamiques, refusant ainsi les codes traditionnels, notamment avec l’adoption des cheveux courts et de l’aspect androgyne qui donne aux femmes une allure de ‘garçonnes’.

Vitrail Art Déco, 1935, collection privée © Tous droits réservés

L’Art Déco fait de la lumière un des ingrédients principaux de sa scénographie, raison pour laquelle il glorifie les arts du feu, via la céramique, le verre et le fer forgé. La Fondation Boghossian présente 25 vitraux tous plus surprenants les uns que les autres. Traditionnellement, le vitrail des cathédrales se voit de loin, d’en bas, inséré dans un ensemble. Ici, les vitraux s’intègrent à l’habitat, à portée de main comme n’importe quelle autre pièce du mobilier.

Vitrail Art Déco, 1935, collection privée © Tous droits réservés

Face à ces vitraux, l’expression ‘toucher du regard’ se matérialise. Les yeux caressent ces surfaces de lumières comme s’il s’agissait de petits fours aux saveurs affriolantes magnifiquement présentées à l’étalage d’un artisan pâtissier. Les sens aux aguets anticipent déjà ce moment de bonheur qui parcourt l’éventail de subtilités les plus douces les unes que les autres. Car chacune de ces surfaces-gâteaux colorées lumineuses s’adresse virtuellement aux cinq sens. La technique du verre martelé permet une telle interprétation puisque les légers reliefs de son épiderme diffusent la lumière tout en modulations, en tendresse et en murmures.

Vitrail Art Déco, circa 1925, collection privée © Tous droits réservés

Echoes of Art Deco
Villa Empain — Fondation Boghossian
Avenue Franklin Roosevelt, 67
1050 Bruxelles
Du 15.11.2024 au 25.05.2025
Du mardi au dimanche, de 11 à 18 heures
www.boghossianfoundation.be


,

Une réponse à “Echoes of Art Deco, Fondation Boghossian”

  1. L’art deco ? Une pure jouissance de tous les sens, un antidote, une respiration liberatrice entre les deux deferlantes totalitaires du 20e siècle, un phare dans la nuit.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *