Valentine Laffitte, Efflorescence


Jusqu’au 21 juin, jour du solstice d’été et la journée la plus longue de l’année, Urochrome accueille Valentine Laffitte, jeune artiste française résidant en Belgique. Cette réalisatrice d’images polyvalentes est aussi à l’aise dans l’illustration de livres destinés à la jeunesse que dans les installations en fonction du site, ou des interventions culturelles, des affiches, des ateliers participatifs ou des animations pour les plus jeunes et même les tout-petits, la pratique de l’art-thérapie en hôpital, des vitrines commerciales et d’autres activités dans lesquelles les images jouent un rôle prépondérant.

Valentine Laffitte, Vue de l’exposition © Valentine Laffitte/Urochrome

Cette variété d’objectifs et de publics garantit une remise en question permanente, que ce soit par le travail en petit ou en grand format, en deux ou trois dimensions, ou encore le métier pratiqué en solitaire ou en collectivité. Elle indique une artiste qui ne se prend pas pour le nombril du monde, et pour qui l’attention à l’autre et à ses besoins fait partie intégrante du travail. Ceci étant signalé, les images très personnelles de Valentine Laffitte ne ressemblent en rien à des productions mercenaires. On y verrait plus volontiers l’échange et le dialogue entre l’artiste et son éventuel commanditaire, ou les spécificités des personnes et du lieu qui l’accueillent. Ainsi ces images réalisées dans le cadre de l’exposition chez Urochrome se colorent du parfum visuel propre à la Factory Bruxelloise, toujours un tantinet provocatrice. Les teintes sombres dominent en contraste avec le jaune fluorescent. Le chaos y règne en maître comme le produit d’un débouchage de canalisations trop longtemps obstruées.

Valentine Laffitte, Sur la piste des herbes sauvages, 2022 © Valentine Laffitte, Elsa Lévy et Charlotte Staber/Maison CFC Édition
Valentine Laffitte, commande de visuels pour les éditions CFC, 2024 © Valentine Laffitte/Maison CFC Édition

Efflorescence, titre de l’exposition, ainsi que les titres de ses livres à destination de la jeunesse ne trompent pas. Ces titres: Et ici, Sur la piste des herbes sauvages (tomes 1 et 2), Grandir, Aux quatre coins du monde, Petite peur bleue indiquent tous l’attirance pour les germinations, les croissances sauvages et proliférantes telles qu’on les trouve dans les jungles, des plantes que l’on ignore, des adventices que l’on arrache ou que l’on qualifie de ‘mauvaises herbes’ car indisciplinées et sauvageonnes. Elles s’installent où bon leur semble et souvent là où on ne les attend pas. Des insectes ou des animaux qualifiés de nuisibles puisque l’être humain n’en trouve aucune exploitation à son avantage et à son profit immédiat, feignant d’oublier la diversité nécessaire au vivant, et de l’utilité du non-utilitaire.

Valentine Laffitte, Installation de 3×5 m pour une exposition collective à l’Espace Moss, 2024 © Valentine Laffitte
Valentine Laffitte, Balade végétale © Valentine Laffitte

Valentine Laffitte semble concevoir ses images comme le vivant s’organise à partir de buissonnements vivaces. Ils se différencient ensuite dans la spécialisation nécessitée par l’adaptation à l’environnement. Là réside la force de ces images, car chacune et chacun de nous pressent plus ou moins consciemment qu’elles se calquent sur un processus vital, enfoui au plus profond de nos origines, hors du temps.

Valentine Laffitte, la table de travail de l’artiste © Valentine Laffitte

La table de travail de l’artiste montre une image en train de prendre corps. Plusieurs surfaces de papiers colorés s’assemblent afin de s’incarner progressivement en un groupe de plantes, de fleurs et de feuilles. Le monde poétique imaginé par Valentine Laffitte démarre avec le pullulement du multiple. Celui-ci devient image quand la surface plane stérile se métamorphose en forme végétale. Ceci confirme ce que l’on sait depuis longtemps: la marque d’un travail de qualité s’obtient lorsque c’est le graphisme qui suscite les scénarios. Chez les meilleurs auteurs en effet, c’est le dessin qui produit les récits, et pas l’inverse comme on l’enseigne trop souvent dans la plupart des écoles, même parmi les plus prestigieuses.

Valentine Laffitte, projet pour un faire-part de naissance, 2025 © Valentine Laffitte

Cette manière de procéder permet de construire progressivement une image avec des éléments basiques, prévus et imprévus, mobiles avant de se fixer. Le travail de l’artiste consiste à assembler des gammes de couleurs, des matières et des formes, et de les dessiner aux ciseaux. Si Henri Matisse semble être l’artiste qui a donné ses lettres de noblesse artistiques au collage taillé aux ciseaux, il ne faut jamais oublier que cette technique est une pratique séculaire, que l’on trouve dès les treizième et quatorzième siècles en Europe, ainsi que la magistrale exposition à la Scottish National Gallery of Modern Art d’Edimbourg l’a montré en 2019. Le collage procéderait-il comme le jardinier qui effectue un bouturage, un marcottage, une greffe? Serait-ce la raison pour laquelle, en art — et avant la généralisation de la photographie — une bonne part des découpages et des collages prennent le monde végétal comme modèle: on songe à Mary Delany au 18e siècle par exemple?

Écoutons Valentine Laffitte: ‘La nature est un foisonnement, je me suis simplement placée en observatrice de ce qu’elle crée.’ Mais il s’agit aussi de s’inscrire dans le monde artistique contemporain, sans hésiter d’y inclure des pratiques considérées comme étant marginales. L’artiste ajoute ceci: ‘Je vais puiser avec beaucoup de curiosité dans des champs artistiques différents: j’aime l’emploi de la couleur par le mouvement fauviste, l’énergie et les couleurs dans la peinture de Bram Van Velde, l’espace et la matière dans la peinture de Mark Rothko, l’art naïf pour ses représentations, l’art brut pour la poésie de la marge et la liberté. Mais aussi les collages de Jockum Nordström, la photographie, la danse contemporaine.’

Valentine Laffitte, Vue de l’exposition © Valentine Laffitte/Urochrome

Pour en revenir à l’exposition de ce jour, la plupart des pièces présentées sont réalisées à partir d’un papier épais coloré d’un noir profond. Pour simplifier un peu, on dirait que le spectateur se trouve face à un tas de feuilles mortes que le jardinier a empilées en automne. Ou face à un jeu de mikado dont les baguettes auraient été transformées en végétaux de toutes formes et de toutes tailles. Certaines surfaces sont plates, et d’autres pliées ou incurvées. Chaque élément étant du même noir, la scénographie varie considérablement en fonction de l’éclairage, car les plans qui se recouvrent sont loin d’être continus et parallèles les uns aux autres.

Valentine Laffitte, Vue de l’exposition © Valentine Laffitte/Urochrome

Outre ces collages encadrés, l’exposition montre aussi des bas-reliefs géants engagés à mi-corps dans les murs, ou des chutes végétales qui naissent du plafond se dandinent avec mollesse en fonction des courants d’air ou des déplacements du public. On devine que Valentine Laffitte tentera bientôt le chemin d’une exposition immersive dans laquelle le spectateur deviendra comme une fourmi, ou un petit insecte qui se fraye un chemin dans la verdure, au ras du sol, avec une visibilité minimale.

Valentine Laffitte, Grandir, Versant Sud Jeunesse, 2022 © Valentine Laffitte/ Versant Sud

Dans son vocabulaire et son organisation spatiale, cette installation de grand format rejoint les illustrations des livres à destination de la jeunesse nettement plus accessibles et connues du grand public que Valentine Laffitte réalise par ailleurs. Grandir raconte les petites aventures de Freja, ‘des évènements minuscules, toutes ces choses qui font grandir. Rester chez soi les jours de pluie, se remémorer l’été les yeux fermés, marcher dans le froid, attendre le soleil, écouter les grenouilles converser, grimper dans les arbres, un peu plus haut chaque année. De tout cela, il reste les souvenirs et les traces.’ Dans l’image, les petites lectrices et les jeunes lecteurs s’identifient à Freja qui occupe une position d’équilibriste, la tête en bas, et son importance n’est pas supérieure à celle accordée aux oiseaux et aux cerises. Avec Valentine Laffitte, l’être humain n’est plus le centre du monde, mais fait partie de la luxuriance heureuse de la nature sauvage, au même titre que chacune des autres composantes de cette forêt de papier.

Valentine Laffitte, Grandir, Versant Sud Jeunesse, 2022 © Valentine Laffitte/ Versant Sud

Valentine Laffitte, Efflorescence
À voir chez Urochrome,
Rue Grétry, 2 — 1000 Bruxelles
Du 17 mai au 21 juin 2025
Du lundi au vendredi de 10 à 16h (il faut presser la sonnette)
https://valentinelaffitte.com/Portfolio
Urochrome: noirjaunepisse@gmail.com

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2 réponses à “Valentine Laffitte, Efflorescence”

  1. Tout simplement génial ! Magnifique ! Étonnant , percutant , enthousiasmant ! Félicitations à Valentine ! Inconditionnelle de ses œuvres ! Elles font un bien fou ! Merci Vincent pour cet élégant partage !

  2. Le tableau « Grandir » est un pur enchantement. Une pure merveille. Je verrais bien Valentine faire de la BD. Cela cartonnerait, jeunes et âgés adoreraient. Quelle découverte! Merci Vincent!

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