Publication rédigée à partir du dossier de presse
La croyance collective aux fantômes, plus étendue que l’on ne croit, possède des racines historiques profondes. Malgré les progrès considérables de la science et de ses applications, et même si elles ne veulent pas toujours l’admettre, beaucoup de personnes croient encore au surnaturel et à ses forces cachées. Et donc, se pencher sur le thème des esprits et des fantômes ne se réduit pas à mener des recherches sur leurs représentations traditionnelles, ou à se remémorer les expériences exaltantes du 19e siècle visant à rationaliser le surnaturel.

Les fantômes sont omniprésents. Ils abondent dans la culture visuelle, des blockbusters hollywoodiens comme Ghostbusters en 1984, et au cinéma indépendant à l’instar de All of Us Strangers en 2023. Ils hantent les écrans, les scènes de théâtre et les livres: la littérature, le folklore et les mythes sont habités par des esprits qui refusent de nous laisser en paix. De tout temps, ils ont également habité l’art. Êtres de l’entre-deux, les fantômes sont des intermédiaires entre les mondes, entre le haut et le bas, la vie et la mort, l’horreur et l’humour, le bien et le mal, le visible et l’invisible. Comment les représenter, les enregistrer ou communiquer avec eux?

L’exposition Fantômes. Sur les traces du surnaturel montre que les fantômes sont des métaphores du retour sur ce que la raison ne peut pleinement réprimer. À l’ère de l’omniprésence technologique, cela nous rappelle que des angles morts existentiels qu’aucune science ne peut expliquer demeurent – avec en premier lieu la mort, cette grande inconnue.
Mais les fantômes ne sont pas seulement des métaphores de la peur ou de l’inexplicable. Ils représentent aussi des figures du souvenir qui manifestent les voix du passé réduites au silence, mais qui continuent à parler dans d’autres registres.

Les fantômes nous font prendre conscience que l’idéal des Lumières ne fut jamais qu’un rêve d’un monde purement rationnel et maîtrisable. Beaucoup de choses de l’existence – non seulement dans notre psyché, mais aussi en politique, dans la société et la culture – suivent des forces échappant à toute logique. Et parfois, lorsqu’on se penche sur le chaos des événements actuels, on a l’impression qu’un fantôme est en train de sévir. Notre présent est hanté par des événements lointains refusant d’être enterrés, par la violence qui reste impunie, par des traumatismes qui paralysent l’action lucide. On pense également aux ‘fantômes’ de l’histoire coloniale qui envahissent encore la vie aujourd’hui, ou à ceux des crises économiques qui hantent les débats politiques. La liste est longue.

Cependant, il serait réducteur de n’associer les fantômes qu’à l’obscurité et à la peur. Dans l’art comme dans l’imagination, les fantômes couvrent une large palette allant de la frayeur à l’humour, de la mélancolie à la polissonnerie, suivant l’exemple de Fantasmino, œuvre de l’artiste américain Tony Oursler, devenu l’emblème de l’exposition. Avec ses yeux numériques mélancoliques regardant à travers une toile imbibée de blanc qui pend lourdement, il réunit à la fois le caractère ludique et étrange des apparitions. Les fantômes nous invitent également à jouer, à imaginer des présences nouvelles et à remettre en question des certitudes anciennes. Ils rappellent ce qui demeure inaccompli, irrésolu et libre d’interprétation. Enfin, ils incarnent également le Zeitgeist (l’esprit du moment, de l’époque) et symbolisent notre présent en évolution comme l’écrit Susan Owens: ‘Les fantômes sont les miroirs de l’époque. Ils reflètent nos inquiétudes, évoluent avec le flot des tendances culturelles et se fondent dans l’ambiance de l’époque.’

À l’entrée de l’exposition, un montage vidéo rappelle à quel point nous croisons souvent des fantômes, que ce soit dans les histoires d’épouvante racontées aux enfants, au théâtre comme dans Hamlet, dans des livres tels que A Christmas Carol ou Harry Potter, et même lors d’une sortie au cinéma.


Une première salle permet de se mettre dans la peau d’un illusionniste du 19e siècle à l’aide d’une installation, Pepper’s Ghost, qui fait écho au ‘vouloir croire’ et au ‘faire croire’, tous deux caractéristiques de ce thème. Gespenst mit Blutlache, œuvre à la fois majestueuse et terrifiante de Katharina Fritsch, ainsi que les fantômes amusants et profondément mélancoliques, peints par Angela Deane sur d’anciennes photographies de personnes anonymes décédées depuis longtemps, rendent manifeste la riche palette d’émotions que les fantômes peuvent provoquer.


La première moitié de l’exposition est consacrée à des représentations de fantômes dans la peinture et la photographie du 19e siècle. Elle présente aussi des notes que des médiums comme Georgiana Houghton, Madge Gill et Augustin Lesage ont produites sous la direction de fantômes, ainsi que des objets en lien avec des séances de spiritisme, qui exigeaient souvent une base scientifique et qui devaient prouver l’existence de fantômes. L’interaction entre des images et des objets provenant de contextes différents – et pas uniquement de l’histoire de l’art – met en évidence des éléments visuels récurrents destinés à signaler l’existence d’un au-delà, à l’exemple du brouillard, de la fumée ou des escaliers. L’iconographie du voile est également utilisée comme métaphore d’événements transitoires, ainsi que pour visualiser l’invisible.

Dans quelle mesure les esprits sont-ils en lien avec notre vie intérieure et notre psyché? Sont-ils, comme le pensait le philosophe allemand Eduard von Hartmann, ‘des fantômes, ou des hallucinations’? Cette question qui a traversé les siècles figure au cœur de l’exposition. Ainsi, la salle centrale présente un couteau provenant de la maison du célèbre psychanalyste C. G. Jung, qui se brisa de lui-même en quatre morceaux… avant même qu’il n’élaborât le concept d’inconscient collectif. Et aussi le poème de 1891, One Need not be a Chamber – to be haunted d’Emily Dickinson, qui s’adresse à voix basse aux visiteurs et visiteuses et qui décrit la psyché humaine comme pouvant être le lieu hanté idéal.


La seconde moitié de l’exposition tisse différents fils thématiques. Elle présente des œuvres plus récentes qui explorent le fait de rendre visible l’indicible, qui s’intéressent à la communication avec l’au-delà ou qui éprouvent une fascination pour l’ectoplasme – cette substance dont les fantômes sont composés — et qui semble aujourd’hui, étonnamment, revêtir une connotation sexuelle. Une salle est consacrée à une vision plus conceptuelle des fantômes: des œuvres soigneusement sélectionnées évoquent les esprits de manière métaphorique.
Par exemple, la vidéo Ghost Story de l’artiste nord-irlandais Willie Doherty traite du passé qui hante le présent en suggérant que les paysages qui défilent furent autrefois le théâtre d’événements traumatisants. Les robes diaphanes en tulle blanc du travail Desvestidos de Claudia Casarino font référence à la violence envers les femmes et au traumatisme transgénérationnel consécutif, présent jusqu’à aujourd’hui dans son entourage et sa vie. Avec la série Haunted Houses de Corinne May Botz et PsychoBarn (Cut Up) de Cornelia Parker, l’avant-dernière salle propose deux manières différentes de se confronter aux sentiments d’inquiétude et de peur qui accompagnent l’idée de vivre avec des fantômes.

La dernière salle enfin est vide. Mais l’est-elle vraiment? Un travail de Ryan Gander organise ce thème depuis le visible jusqu’à l’endroit d’où il émerge, et expose le public à des forces invisibles.
Fantômes. Sur les traces du surnaturel
Kunstmuseum Basel / Neubau
St. Alban-Graben 8, CH-4010 Basel
Du 20 septembre 2025 au 8 mars 2026
Du mardi au dimanche de 10 à 18h
Le mercredi jusqu’à 20h
https://kunstmuseumbasel.ch/fr/expositions/2025/fantomes