Fire: Fondation Boghossian, Villa Empain


‘Si le feu brûlait ma maison, qu’emporterais-je? J’aimerais emporter le feu…’ répondait Jean Cocteau à qui lui demandait ce qu’il sauverait en cas d’incendie. Connaissant Cocteau, il pensait à la flamme créatrice qui nourrit l’artiste plutôt qu’aux biens matériels. Il est vrai que le feu, une fois domestiqué, a permis à l’humanité de trôner au sommet de la pyramide des êtres vivants sur terre. Pourtant, et les incendies qui ravagent l’Europe du sud en été l’attestent, le feu peut être la pire des choses. Il détruit autant qu’il crée. Si d’un côté le feu est gage de la régénérescence des forêts, de l’autre côté l’enfer est avant tout une fournaise, et le spectacle des sorcières brûlées vives aux siècles précédents n’est qu’un aperçu des souffrances éternelles que le feu inflige. Le feu, avec la terre, l’air et l’eau, est un des quatre éléments fondamentaux selon la pensée antique: c’est dire son importance dans l’imaginaire humain.

Jiana Kim, Red Fire of Life , 2025 © Silvia Cappellari

Jiana Kim, artiste sud-coréenne qui a séjourné en résidence à la Villa Empain en 2019, a investi l’espace exceptionnel du grand hall pour y loger Red Fire of Life, une installation réalisée in situ, et composée de plusieurs milliers de fragments de porcelaine rouge symbolisant le tourbillon d’une flamme s’élançant dans l’espace. Cette installation — grandiose pourtant — rappelle combien une œuvre d’art, aussi impressionnante soit-elle, reste peu de chose par rapport à la violence et l’énergie des forces de la nature dont elle s’inspire. Elle montre aussi combien les humains ont été sages d’inventer la culture comme substitut des forces sauvages et primitives.

Ali Cherri, Le Pyromane, 2011 © Silvia Cappellari

Le Pyromane, de l’artiste libanais Ali Cherri, expose un mot formé d’allumettes auxquelles il a mis le feu. Le dégagement de fumées a ainsi laissé ses empreintes sur le support, ces traces ayant varié selon la quantité d’allumettes et le temps variable de la combustion. Il ne s’agit donc plus d’évoquer ou de représenter le feu, mais d’en faire l’outil même de l’œuvre, comme s’il s’était agi du pinceau du peintre. Par ailleurs, devant une telle proposition, comment ne pas penser aussi aux interrogations concernant la pratique artistique initiée avec Ceci n’est pas une pipe de René Magritte?

Michiko Van de Velde, Aurora, 2025 © Silvia Cappellari
Michiko Van de Velde, Aurora, 2025 © Photo X

Un troisième volet de l’art contemporain pourrait se concrétiser avec Aurora, de Michiko Van de Velde. Le format panoramique représente un paysage comme s’il était perçu de la terrasse en haut d’un immeuble, et pourrait se lire comme une toile abstraite si la ligne sombre du sol ne nous ramenait sur terre. Les yeux rêvassent devant un des plus beaux spectacles qu’il nous soit donné à voir: le lever du soleil, quand la boule de feu à qui toute vie est redevable s’éveille en émergeant de l’horizon.

Hervé Charles, Etna Flow, 1999 © Photo X

De son côté, Hervé Charles captive le spectateur avec Etna Flow, de 1999, une vidéo en boucle où, en gros plan, le fleuve de lave en fusion se déverse sur les flancs du volcan. Devant un tel spectacle et sa lenteur, son avancée que rien ne peut arrêter, la répétition devient fascination, et le temps n’existe plus.

Ces œuvres de Michiko Van de Velde et de Hervé Charles mettent en lumière une troisième série de questions liées aux arts contemporains: l’utilisation des écrans et les spectacles qui s’y déroulent, et les perceptions inédites que génèrent les expositions immersives.

Wim Delvoye, Elf 478225 – Azotane et Propagaz D1, 1988 © Photo X

Sous le prétexte du feu, cette exposition agit comme un musée d’art contemporain en petit, puisqu’elle offre un panorama de la création artistique depuis un demi-siècle, et même davantage. Chaque regard portant sur le feu y est présenté, que ce soit dans l’idée de représentation, littérale ou symbolique, ou encore là où il est utilisé comme dispositif et comme outil.

Ainsi Elf 478225 – Azotane et Propagaz D1 de notre compatriote Wim Delvoye, qui expose deux bonbonnes à gaz. Mais ces objets industriels et métalliques sont peints à la manière des céramiques asiatiques anciennes ou de la faïence de Delft. Ils deviennent ainsi des hybrides, à la fois précieux et banals, hautement culturels, et des ready-mades indignes de culture muséale. Notre époque s’y retrouve.

Fabrice Samyn, Untitled 1, From the series The Face of the Sun, 2025 © Silvia Cappellari
Fabrice Samyn, Ceci est, 2008 © Photo X

Il en va de même avec Untitled 1, de Fabrice Samyn, une quasi miniature peinte sur bois dans le métier artisanal le plus traditionnel, mais encerclée dans un cadre contemporain tel qu’on en trouve dans nos salles de bain — un lieu où, généralement, on ne pense pas trop à l’art. Par contre, avec Ceci est de 2008, l’artiste propose une installation dépouillée donnant l’illusion d’une petite flamme qui incite au recueillement et à la méditation, comme dans une chapelle.

Jannis Kounellis, Senza titolo, 1980 © Silvia Cappellari

Jannis Kounelis — issu de l’Arte Povera —, Yves Klein, Otto Pienne, Jef Verheyen, Jean Boghossian, Claudio Parmiggiani, Piero Manzoni et Alberto Bury, entre autres, tous font partie de cet important groupe d’artistes qui utilisent le feu en guise de pinceau. Pourquoi ne pas peindre avec une flamme, avec la suie qui s’en échappe? Jannis Kounelis semble le plus pédagogue, car il montre le processus du début à la fin: un feu est allumé sur un tas de pierres, et la fumée peint le mur contre lequel le dispositif est posé, tandis que la palette colorée qui surplombe le tout s’enfume et se noircit.

Joris Van de Moortel, Chapel of fire eruption , 2025  © Silvia Cappellari
Joris Van de Moortel, Chapel of fire eruption , 2025 © Photo x

Joris Van de Moortel travaille sur une autre facette de l’art d’aujourd’hui: la relecture d’une œuvre ancienne — Rogier van der Weyden, au 15e siècle — via des installations et un savoir-faire technologique d’où sont issus des vitraux comme au Moyen-âge, mais repensés à l’âge de l’éclairage électrique. Pour être complet, l’artiste y ajoute des aquarelles et des peintures réalisées dans la tradition des œuvres sur papiers et sur toiles. Ceci synthétise l’autre dimension de cette exposition: la diversité des techniques et des modes de créations actuelles qui explorent l’infinie panoplie des moyens mis à la disposition de nos contemporains.

Pascal Convert / Maître verrier Olivier Juteau, Bibliothèque, 2018 © Photo X

Le dernier coup de cœur ira à Pascal Convert, qui a figé dans le verre ce qui reste de livres préalablement calcinés. La technique utilisée est très particulière puisque Olivier Juteau, maître verrier, a procédé à une cristallisation à livre perdu — et non à cire perdue comme le pratique la tradition issue de l’Antiquité. Les livres sont ainsi conservés à jamais dans une gangue de verre imperméable. On appréciera l’ironie de la situation lorsqu’on sait que le verre est fabriqué de sable fondu par l’extrême chaleur du feu.

Claudio Parmiggiani, Senza titolo, 2023 © Silvia Cappellari

Fire
Fondation Boghossian, Villa Empain
Avenue Franklin Roosevelt 67
1050 Bruxelles
Du 25 septembre 2025 au 01 mars 2026
Du mardi au dimanche de 11 à 18 heures
www.boghossianfoundation.be

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