Publication réalisée à partir du dossier de presse
Si la naissance officielle des éditions Tandem remonte à 1974, il faut regarder bien au-delà du dépôt officiel des statuts de la jeune association au Moniteur belge pour en apprécier l’étendue et la spécificité. Regarder au-delà: voilà l’invitation, le propos et l’enjeu de cette exposition.

Derrière les recueils de gravures et les différentes publications que produisent Gabriel Belgeonne et Thérèse Dujeu depuis plus de cinquante ans, se dessine un vaste réseau d’échanges, de collaborations, d’amitiés, de convergences esthétiques, de connivence et d’estime réciproque. Autant de ‘constellations’ particulières qui forment ce que l’on a choisi d’appeler aujourd’hui ‘la galaxie Tandem’ et dont les diverses éditions, exposées telles des planètes prodigieuses, scintillent comme des étoiles.


C’est par une exposition au Musée des Beaux-Arts de Mons que commence, en 1971, l’aventure de la maison d’édition. L’artiste franco-argentin Antonio Segui y est entouré de six jeunes graveurs qui donnent libre cours à leur imagination, notamment dans le catalogue, conçu comme un véritable livre d’artiste dont un rare exemplaire ouvre cette exposition. Par la suite, en parallèle à la création de l’Association Sans But Lucratif, paraissent Portfolio I et Portfolio II, rassemblant des travaux de jeunes artistes qui se distinguent l’un de l’autre par leur style et leur choix de techniques. Ces deux portfolios ouvrent la voie à la première véritable collection de Tandem intitulée Monographie. Ces recueils d’estampes d’un même plasticien s’accompagnent d’un texte critique. Jo Delahaut introduit la collection par une subtile suite de sérigraphies. La collection Portefeuille arrive ensuite, égrenant des artistes belges — Lismonde, Jean-Pierre Ransonnet et bien d’autres — comme étrangers, rencontrés à l’occasion de déplacements ou de correspondance, par exemple Johan Carter, Kate Van Houten, Stanislaw Fijalkowski, Atsuko Ishii, Takasada Matsutani.

1984 est une autre date importante pour Tandem: Gabriel Belgeonne rencontre alors le poète belge François Jacqmin. Ensemble, ils imaginent la collection Textes & Images, associant librement l’écriture d’un auteur et les interventions visuelles d’un plasticien. L’écrivain s’associe à Serge Vandercam pour en créer le premier tome, Le Concile des Oiseaux, titre inspiré des écrits du poète persan du XIIe siècle, Attar. Toujours attentive à la jeune création, Tandem inaugure ensuite, au début des années 1990, la collection Histoire(s) en images, petits recueils de brefs exercices de style visuels, au développement narratif libre et poétique. Un écho à cette dérive poétique se laisse entendre dans une autre collection, intitulée Carnets de voyage, des leporelli ou livres-accordéons, où des plasticiens recensent les images décisives de séjours à l’étranger.


Enfin, depuis plus de trente ans, Tandem a développé deux autres collections, davantage axées sur les écrits théoriques: Conversation avec… et Alentours. La première est l’occasion pour un artiste de revenir sur son parcours, dans un entretien au déroulement libre. La seconde rassemble des essais d’artistes, architectes théoriciens ou philosophes qui, dans un format qui laisse la part belle à l’appréciation subjective, développent une idée ou égrènent leurs réflexions sur l’art et le processus de création.

Pour cette exposition, les protagonistes de Tandem ont choisi de ne pas présenter les publications de manière chronologique, thématique ou selon les différentes collections. Ils ont préféré laisser libre court à la surprise et à la découverte, privilégiant la déambulation libre et laissant aux œuvres le soin de se raconter elles-mêmes.


Quatre chapitres suggèrent toutefois certaines idées maîtresses qui caractérisent les productions de la maison d’édition, sans les résumer, ni les restreindre. Leurs titres sont empruntés à des auteurs qui ont partagé un temps avec Tandem:
— Vol de jour, vol de nuit, Brigitte Corbisier
Tandem trouve son unité dans la diversité des personnalités, des thèmes et des techniques défendues. C’est la rencontre féconde des contraires: le blanc/le noir, l’envolée/l’enfouissement, le vide/le plein, l’élan/la retenue, etc.
— Le style fait que l’on renforce le désordre, François Jacqmin
Savamment maîtrisées tout en étant libres, les productions Tandem marient le savoir-faire et l’audace, la rigueur apprise et l’invention spontanée, les techniques anciennes et les plus récentes.
— Chance et sciences de l’accord, Yves Peyré
Réalisations précises et longuement évaluées par leurs différents auteurs, les différentes collections ne s’en ouvrent pas moins à l’imprévu et aux accidents de parcours. Le miracle répété de la création se nourrit d’anticipations comme d’inconnues.
— Et la pensée fait signe, visage ou voix en relief dans le miroir, Denise Desautels
En cinquante ans, c’est une large gamme de tendances esthétiques qui ont trouvé écho dans les pages de la maison de d’édition, de l’écriture aux figures, de l’abstraction à la figuration, de la morsure aux biffures.

Dans la galaxie Tandem, ‘tout est une histoire de caractères’, confie Gabriel Belgeonne, qui a rencontré Thérèse alors qu’il cherchait à se procurer la police Garamond! Quoi qu’il en soit, le regard sensible est irrésistiblement pris dans un tourbillon d’émotions esthétiques et poétiques, de lignes de force insoupçonnées et de réjouissantes cohérences.

Luc Terios a rencontré Pierre-Olivier Rollin, scénographe de l’exposition
Luc Terios: Pierre-Olivier Rollin, comment en êtes-vous arrivé à scénographier cette exposition?
P-O Rollin: Je connais les éditions Tandem depuis longtemps, puisque Gabriel et Thérèse sont les parents de Grégoire, mon meilleur ami à l’école. Encore étudiant, j’allais voir les expos de Gabriel, et je l’ai même interviewé lors de son expo au musée Rops de Namur en 1996. Après des études en journalisme à l’ULB, je me suis spécialisé en histoire de l’art, avec une orientation vers l’art contemporain. Quelques années après, en ayant entretemps été éducateur de rue, en prévention toxicomanie, et comme critique d’art dans différentes publications, je suis devenu responsable du secteur des arts plastiques du musée d’art de la province de Hainaut, Le BPS22.
Aujourd’hui, j’essaie d’aider Thérèse et Gabriel comme je le peux dans les différentes tâches que requiert une maison d’édition qui mène plusieurs projets de front. C’est comme cela que nous avons été amenés à réfléchir tous les trois à la présentation de la Wittockiana, étant donné que je suis plus familier qu’eux dans la résolution des difficultés que représente une exposition. En effet, une exposition est toujours une série de contingences, parce qu’il faut concilier des possibilités artistiques, techniques, financières, spatiales et bien sûr humaines.
La Wittockiana est un lieu dédié aux livres. Ceci implique des dispositifs spécifiques, distincts de ceux d’un musée qui montre des œuvres d’art. Par exemple, l’espace est davantage occupé par le vide, afin de permettre le placement de vitrines, plutôt que de cimaises où accrocher des œuvres. Il y a ainsi peu de murs et ils sont souvent anguleux. Les collections de Tandem sont à la croisée de ces deux exigences, puisque nous éditons aussi bien des livres à lire que des recueils d’estampes ou des livres d’artistes à compulser mais qui peuvent prendre place dans des encadrements muraux. A cet aspect que je qualifierais de ‘technique’ s’est ajouté notre souhait de ne pas reproduire les expositions précédentes qui étaient organisées de manière thématique ou chronologique; auquel cas, la Wittockiana n’avait pas besoin de nous. C’était ces contraintes qu’il fallait concilier.
Nous avons choisi de travailler à partir de chapitres ‘poreux’, en isolant certaines idées que l’on peut retrouver dans la collection. Ces idées ont été formalisées par des citations empruntées à des auteurs qui ont travaillé avec Tandem. C’est ainsi leur rendre justice. L’idée générale étant de refléter l’unité dans la diversité ou la diversité dans l’unité qui est pour moi le trait principal de Tandem. Cette organisation nous offrait une grande souplesse pour faire une exposition significative, comme le souhaitait Gabriel. Nous n’étions ainsi pas (trop) contraints par la configuration spatiale que les thèmes n’épousent que lâchement, ou par un chapitrage contraignant qui nous aurait obligés à chercher l’illustrer pour étayer cette orientation. Au final, je pense que l’on s’en est plutôt bien tiré.
La Wittockiana dispose de matériel scénographique destinés à montrer des livres, et nous avons choisi de les utiliser. Il ne fallait pas faire trop d’adaptations pour y montrer avantageusement les éditions Tandem. Il nous semblait stupide de ne pas utiliser ce mobilier, d’autant qu’il nous plaisait beaucoup. Certains éléments, comme certaines étagères, ont de réelles qualité de design. De surcroît, comme tous les éléments de scénographie, ce matériel opère par ‘seuillages’ sémiotiques: il oriente vers une potentialité de l’édition, en l’occurrence il accentue la matérialité de l’objet éditorial, voire sa plasticité. Mais un livre est toujours plusieurs choses à la fois, dont un contenu qui est sa raison d’être. C’est un aspect qui me semble essentiel chez Tandem: on perçoit clairement que les éditions sont conçus par un plasticien qui n’oublie pas les questions formelles. Quant aux cadres, nous avons choisi d’aimanter les gravures sur le mur et de les recouvrir par un cadre individuel sans fond. De la sorte, la feuille n’est pas écrasée entre le fond et la vitre. Elle peut ainsi valoriser ses qualités de textures et sa matérialité.
Florilège complice, les éditions Tandem
Wittockiana, Musée des Arts du livre et de la reliure
Rue du Bemel 23, 1150 Bruxelles
Du 28 mars au 21 septembre 2025
Du mardi au dimanche de 10 à 17h
Fermé le lundi
https://wittockiana.org/florilege-complice/
info@wittockiana.org