Une œuvre peinte indissociable de la pratique journalistique,
une carte blanche signée Michel Michiels
L’expressionnisme a bouleversé tous les aspects de l’art. Avec Jean-Claude Dubié-Defossé il a également touché le journalisme. C’est en cela que son œuvre peinte est indissociable de sa pratique journalistique. Un seul et même homme s’exprimant avec le même engagement et la même conviction sur la toile peinte comme sur le petit écran. Dans un langage précis, direct et décapant, une œuvre où le message ne s’embarrasse d’aucune hésitation et d’aucun repentir, encore que souvent accompagnée d’une dose d’humour qui deviendra dans sa peinture la marque de fabrique qui avait caractérisé ses émissions. Une œuvre où les corps se forment et se déforment au gré des convictions de l’artiste, des convictions qui sans la moindre hésitation deviennent un engagement avant de passer à l’acte. L’acte sera la peinture qui le fera passer de la conviction à l’obsession. Dès lors JCDD nous rappelle les faits comme un métronome et à chaque fois, on se dit mais oui bien sûr cela ne se discute pas.

L’engagement dans les causes sociétales est un état permanent pour JC Dubié-Defossé. Son premier combat concerne la religion qui comme chacun sait est la meilleure et la pire des choses. La foi fusse-t-elle athée est une ultime bénédiction accordée à ceux qui en bénéficient. Les autres, y voient plutôt l’accélérateur des malheurs qui ont endeuillés l’humanité depuis l’apparition des monothéismes. Remarquons que quand une foi croise une autre foi, on entre généralement dans un conflit religieux. De même, tant qu’un conflit est étranger à la foi, il peut être objectivé, mais dès lors qu’un parfum de foi flotte dans l’air, il devient insoluble pour la nuit des temps. JCDD, ne nous dit pas que telle foi vaut mieux qu’une autre, pour lui toutes les religions se valent, il les met toutes dans son sac à malices. Et s’il choisit de réserver ses flèches aux religions du livre, c’est pour draper son propos de leur vertu archétypale. On a cru un moment au cours du XXè siècle que les religions s’orientaient vers un aimable apaisement, on sait maintenant qu’il n’en est rien, et que l’avenir de la planète sera tout à la fois torride et religieux. JCDD tient à ce qu’on le sache.

Le second engagement de JC Dubié-Defossé est dédié à la lutte féministe et à travers toutes les causes sociétales qu’il embrasse, celle des femmes est celle qui lui tient le plus à cœur. Les religions ne seraient donc pas sa seule obsession? En fait non, puisque voilà une cause où bien évidemment la religion pointe son nez. Dès lors on peut considérer que son action pour la cause féminine, est un sous-chapitre de ses commentaires sur les religions. Une œuvre tonitruante hurlant sa vérité à charge dans le silence assourdissant des mouvements féministes qui se détournent avec pudeur de la lapidation de l’épouse adultère, ou du mariage des vieillards avec des fillettes impubères pour se concentrer sur la goujaterie du mâle blanc occidental.

Sans en avoir l’air, mais avec constance, le tournant du siècle nous tient la main vers l’obscurantisme. En quelques décennies, le recul de la liberté est spectaculaire. L’autocensure est une constituante de cette tendance ce qui ne semble pas déranger la jeunesse. Elle adhère à la réécriture de l’histoire. Une histoire expurgée de ce qui déplait à la doxa dominante. On s’interdit de déplaire mais les susceptibilités grandissent en même temps que la crainte de les choquer. Les réseaux officiels sont tétanisés à l’idée d’être moins fédérateurs alors que, curieusement, les réseaux sociaux se vautrent dans l’abject. Dès lors, il n’y en a plus que pour les positions fédératrices. Les œuvres insupportables à notre confort consensuel sont disqualifiées. JCDD apparaît donc comme un survivant d’une époque révolue où les vérités pouvaient contrarier tout en restant bonnes à dire. Mais voilà, le nouveau monde nous informe que désormais c’est fini. JCDD persiste, survivra-t-il aux périls des paroles à taire avec la cible qu’il s’est peinte dans le dos?

Et pour en revenir à l’expressionnisme, comment, devant certaines œuvres de Jean-Claude Dubié-Defossé, ne pas voir en filigrane l’ombre des Fritz van den Berghe, Permeke et Wouters, ces monuments de l’expressionnisme belge dont le seul tort aura été d’être des géants dans un tout petit pays.
La revanche des clettes *
* Clette est un mot bruxellois qui signifie incompétent, incapable
Une carte blanche signée Bissy Klett
Le public connaît Jean-Claude Defossé pour ses émissions poil à gratter qui ont offert quelques beaux-jours à la RTBF pendant plus de 30 ans, et installé l’auteur dans le peloton de tête des enquiquineurs au service du public. On sait moins que l’enfant était plus que doué pour le dessin et la peinture, avant que les confrontations aux institutions le convainquent de son inaptitude à entrer dans une vie formatée.

L’école catalogue le gamin comme étant un cancre, la faute à une dyslexie et à une hyperactivité pas diagnostiquées, ce que le langage médical contemporain qualifie de neurodivergence, et que le langage fleuri des Bruxellois nomme ‘clette’. S’en suit une enfance et une adolescence faite de débrouille et de petits boulots. Jean-Claude Defossé ne s’en doute pas, mais il est en train de vivre la plus formidable école inventée par la vie, à la façon des Pieds Nickelés. Plus tard, le trublion trouvera une raison de vivre dans le journalisme, dans les mots, mais toujours avec les images en embuscade dans le coin de sa tête. L’âge de la retraite devient celui du retour aux premières amours… le dessin et la peinture, que l’ancien enseignant d’arts plastiques pratique désormais au quotidien.

Les sujets sociétaux passionnent Jean-Claude Defossé. Ses peintures sont des images parlées, à l’instar d’un reportage télévisé. Certes, on peut y discerner des ‘périodes’ pendant lesquelles l’artiste semble plus sensible à telle ou telle problématique ou à telle ou telle manière de faire. Reste que le dénominateur commun depuis des décennies serait le rapport de l’individu à l’institution, sur le mode de l’incompréhension.
Ce ne peut-être un hasard, son film culte reste La vie est un long fleuve tranquille, l’histoire d’un dérèglement qui se conclut par une revanche dérisoire et dramatique à la fois, mais comique. La réussite de l’homme des médias serait une manière d’apaiser une personnalité profondément communicante mais que l’institution a d’abord déclaré a-sociable. En bon stratège de la compensation, il n’est pas étonnant dès lors que notre homme ait pratiqué le judo, ce sport qui retourne la force de celui qui l’utilise contre lui-même. La dérision fait le reste.

‘Institution’ est un mot vaste, qui recouvre des tas de domaines, qui a été inventée pour ‘stabiliser les échanges et réduire les risques liés à l’échange’. L’institution crée des problèmes lorsque son rôle pacificateur devient source de conflits, par exemple lorsqu’elle se transforme en outil de domination et de pouvoir, comme l’ont toujours utilisée les tyrans et les dictateurs. Parmi les milliers d’institutions créées par l’imagination humaine depuis des millénaires, nombre ont disparu, sauf une, coriace comme la mauvaise herbe. Y eut-il jamais une civilisation sans dieux ou sans Dieu?
Ne s’agit-il pas là de la plus formidable escroquerie de tous les temps, car cet asservissement volontaire se recherche avec acharnement par les victimes en manque de leur drogue? Ne dit-on pas dit que la religion est l’opium du peuple? Elle fait des ravages, on tue pour elle. L’astuce est double: afin de convaincre, une religion parle d’amour et de tolérance, et vend l’illusion d’une vie meilleure, éventuellement pour l’éternité; alors qu’en réalité elle déclenche les haines et asservit.

Lorsqu’elle devient une institution, une religion se met à parler en termes de vérité dont elle est seule dépositaire. Dès lors, tout ce qui s’y oppose doit disparaître. ‘Mort à l’infidèle’ éructent ces intégristes qui manient le cimeterre aussi bien que le goupillon. Voilà pourquoi les dessins et les tableaux du mécréant Jean-Claude Defossé ne cessent de représenter des patibulaires, tous temples, synagogues, chapelles et mosquées confondus, car ces représentants de Dieu s’entendent comme culs et chemises. Comme il ne s’agit pas de s’adresser à l’un ou l’autre de ces meurtriers en particulier, l’artiste empile leurs images sur sa toile en mélangeant leurs insignes et leurs trognes à l’image de leurs âmes, vilaines à en faire pleurer un ange.

Jean-Claude Defossé a aussi touché au dessin de presse. Il n’en fait pourtant pas le corps de son œuvre parce que ses talents de caricaturiste ne le permettent pas. En effet, la caricature vise le particulier, alors que notre lanceur d’alerte cible le type social. Mais aussi parce que la pratique du dessin de presse est appelée à pointer des événements, ponctuels, restreints, ce qui s’assimile à une décharge locale alors que l’ignominie religieuse étale sa recette depuis des millénaires, en tous temps et en tous lieux.

Le dessin de presse ne s’accorde pas le temps de batifoler et de touiller dans la bouillasse, plaisirs qu’offrent les matières picturales lentes et grasses de la peinture. Lorsque Jean-Claude Defossé peint, il importe à notre artiste de ‘Cracher les trucs que j’ai dans le ventre’. L’expression n’est peut-être pas une métaphore, car chaque œuvre évoque les viscères de la manière la plus littérale qui soit. Là réside l’intérêt de ces peintures qui s’encombrent fort peu des belles manières en évoquant glaires et glaviots, ces viscosités peu ragoûtantes que les humains fabriquent dans leurs cerveaux et leurs relations autant que dans les profondeurs de leurs corps.
La manière de peindre ces œuvres est ainsi ‘brut de décoffrage’, effrontée, malicieuse, impertinente, provocatrice, et indique la tentation du bas-relief, et l’attirance de la sculpture, ou l’inclusion d’objets réels dans les tableaux. Au détour d’une conversation devant ses tableaux l’artiste prononce ce mot qui touche du doigt sa raison de peindre (pour le contenu) et sa manière de peindre (pour la forme): ‘Peindre est pour moi une catharsis… il faut voir mes tableaux en braille’.
Jean-Claude Defossé, peinture engagée
CAL, Centre d’Action Laïque
Campus de la Plaine (accès 2) — 1050 Ixelles
Du 16.01 au 18.04.2025
Du lundi au vendredi de 9 à 17h sur rendez-vous
Le mardi du 17 à 19h, entrée libre
Fermé le samedi et le dimanche
02.627.8.11
cal@laicite.net
https://www.laicite.be/evenement/jean-claude-dubie-defosse-sexpose-au-cal/
2 réponses à “Jean-Claude Dubié-Defossé expose sa peinture engagée au CAL à Ixelles”
Les tableaux expressionnistes de JCl Defossé reflètent les causes pour lesquelles il s’ investit si puissamment dans ses peintures. Il se rattache aux grands peintres Permeke et Wouters. Ses tableaux ont une force incroyable. Les professeurs de dessin devraient projeter ses tableaux sur écran pendant les cours d’Histoire de l’art. Mais avec quelles conséquences? J’en frémis. Bravo en tout cas pour son combat contre les religions, les guerres, et pour la défense des droits des femmes. Ces combats n’auront jamais de fin. JCl Defossé a apporté sa pierre à l’édifice et on l’en remercie.
Je ne crois pas qu’il faille se battre contre les religions en tant que telles. Elles sont une réponse (?) à un questionnement ontologique archiconnu, que résumait l’humoriste résistant et juif Pierre Dac : » A la question : qui suis-je, d’où viens-je? où vais-je? je réponds : « Je suis moi, je viens de chez moi, et j’y retourne ». C’est assez basique, certes, mais tout dépend où l’on naît. Dans un pays dictatorial d’essence rédhibitoirement religieuse et coincée, qui impose un mode de vie univoque et étouffant, sclérosé et impitoyable ( mais aussi, bien sûr, celui laïc de George Orwell dans 1984), c’est un étouffoir absolu, sans issue, une tombe. Dans les pays qui permettent une certaine ouverture, même au prix de combats courageux, voire héroïques. C’est encore possible, comme le prouvent les associations représentant et promouvant la laïcité. Le mieux est donc de lutter, de se faire entendre en engrangeant les progrès, de poursuivre la lutte en faveur de notre autonomie mentale, donc pour notre dignité. Ce qui n’exclut nullement une spiritualité personnelle, « à la carte » décomplexée et sans gourous. Il vaut mieux quitter simplement les gens plutôt que de s’en plaindre. A condition que ce soit possible, que l’on ait ce choix vital! L’ennemi c’est d’abord et partout le totalitarisme sous toutes ses formes et couleurs. Comme en politique. Le combat de JCL Defossé est juste, et son pinceau en gant de crin est rageur, mais davantage qu’une contestation c’est une colère brute et efficace pour se libérer des entraves à sa liberté créatrice. Je n’oppose toutefois pas cette démarche à une quelconque vindicte envers un passé ou une éducation à surmonter. Peut-être est-ce son cas, je ne sais, mais j’y vois surtout une volonté créatrice de se déployer, de sortir de nos gonds assoupis par une éducation frileuse, un milieu conformiste et ronronnant. Je n’oppose donc pas cette radicalité justifiée aux œuvres « sages », et « bien-pensantes ». Un Caravage était bien au-dessus de cela! Je suis autant ému par l’Ave Verum de Mozart ou les cantates de Bach. Et même le plafond de la Sixtine ou les plus fortes paraboles des Evangiles qui démontrent que Jésus était aussi un rebelle progressiste! Il y a de l’esthétique, et même une poésie dans les révoltes justifiées, celle d’une éruption du vivant, et même des turgescences animales brutes : toute vie est un volcan dont le feu peut nous éblouir sans pour autant nous engloutir. Nous sauver même! Qui mourra verra. Santé! Et la cuite au prochain numéro!