Consacrer une exposition aux Géants est une bonne chose, puisque leur existence est inséparable de l’imaginaire humain depuis fort longtemps. Si aucune information les concernant n’émerge du monde préhistorique, les premières civilisations pourvues de l’écriture produisent déjà des textes qui décrivent de gigantesques créatures mythologiques. Ainsi, il y a 6000 ans, la civilisation sumérienne en Mésopotamie raconte — entre autres récits —comment Gilgamesh, le roi légendaire de la cité d’Uruk, affronte un démon géant, gardien de la Forêt des Cèdres où vivent les dieux.

Dans la mythologie grecque, les Géants se caractérisent par leur taille et leur force exceptionnelles. Ces créatures liées par leur naissance au monde souterrain et infernal sont une image de la démesure des instincts animaux, agressifs et brutaux, qui symbolisent la prédominance des forces issues de la Terre par leur gigantisme physique opposé à leur pauvreté spirituelle. Chose remarquable, ils ne peuvent être vaincus que par le binôme dieu/homme: Zeus en personne a besoin d’Héraclès, tout comme Athéna, Dyonisos, Aphrodite et Poséidon ne peuvent venir à bout des Géants sans l’aide d’humains. Pour vaincre la bestialité, les dieux ont besoin des hommes tout comme les humains ont besoin des dieux. Les Géants représentent les tendances involutives et régressives de l’humain, ce qu’il doit combattre pour libérer et épanouir l’ensemble de ses capacités et ne plus être un simple animal voué au rapport de force.

Dans nos contrées, et même si les traditions orales du monde celtique évoquent des récits mythologiques peuplés de Géants, leur présence avérée tels que nous les connaissons date du 13e siècle au Portugal. Le phénomène se développe ensuite en Espagne, avec des personnages qui miment des épisodes de l’histoire religieuse et des légendes locales. Dans le Nord de la France, le Nord-Pas-de-Calais, la Belgique, et les Pays-Bas, ils s’ancrent profondément dans les traditions populaires des Flandres dès la fin du Moyen-âge en participant à des processions religieuses, jusqu’à faire partie du folklore en incarnant des personnages locaux, réels ou fictifs.

Devenant symbole de l’identité collective d’un lieu, la tradition fait que les géants apparaissent les jours de carnavals, de braderies, de kermesses et de ducasses, accompagnés de la fanfare locale. On leur dédie des chansons. Portés par une ou plusieurs personnes, ils s’animent, ils dansent, devenant ainsi un bel exemple d’un patrimoine ancestral, populaire et toujours en vie.

L’actuelle exposition ne se contente pas d’évoquer ces éléments historiques. Il s’agit aussi de célébrer le 20e anniversaire de la reconnaissance de ces Géants emblématiques de la région au patrimoine culturel immatériel de l’humanité par l’Unesco. L’exposition se veut concrète et pédagogique, en expliquant l’histoire des Géants locaux autant que leurs secrets de fabrication artisanale héritière d’un lointain passé, leurs sorties à l’occasion de fêtes, leur rôle culturel… Dans le même temps, les organisateurs valorisent les collections de leurs musées et lieux remarquables, comme l’Hospice Comtesse, ancien hôpital fondé en 1237 et situé au cœur du Vieux-Lille, tout en présentant une série de pièces d’époque qui documentent la thématique, comme des cartes postales d’époque, des gravures, des enseignes.

Selon la légende, en l’an 620 à Lille, le prince Salvaert, accompagné de son épouse enceinte Ermengaert, traverse le bois de ‘Sans Mercy’ sur lequel règne le géant Phinaert. Phinaert assassine Salvaert, mais Ermengaert réussit à s’échapper et donne naissance à un petit garçon, Lydéric. Quelques années plus tard, Lydéric affronte Phinaert en duel et le tue. En gage de reconnaissance, le roi Dagobert lui confie les terres du géant. Lydéric y fonde la ville de Lille. À Lille, les deux principaux géants sont donc Lydéric, le gentil prince qui porte sur son épaule un faucon, et le méchant Phinaert qui brandit sa hache.

En 2004, Lille est Capitale Européenne de la Culture. La Ville célèbre l’événement en faisant dialoguer ses collections autour de la légende du géant fondateur de Lille, Lydéric, et commande à Fred Greneron et François Boucq un dessin animé sur la légende de Lydéric et Phinaert. Ce film devait être projeté sur la Grand’Place pour accueillir les géants, mais l’événement a été annulé pour cause d’intempéries. L’exposition Petite histoire de Géants permet ainsi de présenter pour la première fois ce film d’animation, accompagné d’une sélection de planches originales de François Boucq qui ont servi à sa fabrication.
Né à Lille en 1955, François Boucq est un des meilleurs auteurs actuels de bande dessinée en France. On lui doit — entre autres — la série Jérôme Moucherot, et La Femme du Magicien et Bouche du Diable, avec Jérôme Charyn, ainsi que Face de Lune, avec Alejandro Jodorowsky. Depuis 2015, il est présent dans Charlie Hebdo.

Parmi les curiosités présentées au public, une réplique de Lydéric de 3,70 mètres de haut, appartenant à la Maison des Géants d’Ath, en Belgique, participe à cette exposition.
La Nuit Terrible d’Halloween se tiendra le vendredi 31 octobre de 19 à 22hrs. Cette soirée avec des sorcières et de la musique envoûtante propose une déambulation pleine de mystères dans l’exposition et les collections du musée.

Petite histoire de Géants
Palais des Beaux-Arts, place de la République, 59000 Lille
Du 18 septembre 2025 au 05 janvier 2026
Le lundi de 14 à 18hrs, et du mercredi au dimanche de 10 à 18hrs
Fermé le mardi
https://pba.lille.fr/Agenda/Petite-histoire-de-Geants-la-legende-de-Lyderic-et-Phinaert