Vers 1900, le sculpteur, photographe et maître de la mise en scène Medardo Rosso (1858–1928) a révolutionné la sculpture. Hélas, malgré son influence considérable, l’artiste italo-français, concurrent d’Auguste Rodin et modèle pour de nombreux artistes, n’est guère plus connu aujourd’hui. L’exposition Medardo Rosso, l’invention de la sculpture moderne, présentée au Kunstmuseum de Bâle, entend y remédier.

Cette rétrospective d’envergure offre une rare occasion de découvrir la production de Rosso à travers 50 œuvres plastiques et près de 250 photographies et dessins. Elle propose d’en apprendre davantage sur l’œuvre pionnière qu’il réalisa au tournant du siècle, mais aussi sur la portée contemporaine de son art, et offre en même temps une base pour redécouvrir l’histoire de la sculpture moderne.

L’exposition permet de comprendre les recherches radicales menées par Rosso sur la forme, la matière et la technique. L’impact colossal de sa production artistique, toujours perceptible aujourd’hui, se manifeste dans le dialogue avec des œuvres d’art de plus de 60 artistes des cent dernières années.
En 1918, après avoir visité l’atelier de l’artiste, Guillaume Apollinaire écrit dans la revue parisienne L’Europe Nouvelle: ‘Medardo Rosso est sans aucun doute le plus grand sculpteur vivant’. Medardo Rosso reste trente ans dans la métropole artistique française et ne retourne en Italie, son pays natal, que les dernières années de sa vie. Rosso est autodidacte, et en outre l’auteur de nombreux écrits véhéments et au langage bien à lui dans le champ de la théorie de l’art. À Paris, il tisse des liens avec les impressionnistes et fait également la connaissance d’Auguste Rodin. Il travaille à une redéfinition de la sculpture pour dépasser les conceptions traditionnelles de la représentation, de la production et de la perception. Rosso est convaincu de la nécessité de ‘redonner vie’ en profondeur à la sculpture: ‘Il n’y a ni peinture, ni sculpture, il n’y a qu’une chose qui vit.’

Les dimensions humaines de la sculpture de Rosso, la mise en scène fragmentée créant une intimité, ainsi que l’aspect imprécis de ses figures se heurtent aux exigences d’une sculpture monumentale héroïque. Celle-ci a été pensée pour l’éternité telle qu’elle était conçue autrefois, et, par conséquent, elle rompt avec les longues traditions sculpturales unifiantes. Une préoccupation semblable obsède également Rosso sur le plan du motif et de la matière. Il se consacre davantage aux gens du quotidien qu’aux glorieux récits épiques et crée des œuvres qui tentent de saisir l’essence éphémère d’un moment.

Outre le bronze, Rosso recourt pour ses figures à des matières plus modestes et périssables, comme la cire et le plâtre, jusqu’ici utilisées en sculpture pour des étapes préliminaires, ou généralement comme outils. En raison de leur souplesse et de leur malléabilité, elles donnent une impression de fugacité – raison pour laquelle ses sculptures furent également célébrées comme une version sculpturale de l’impressionnisme. Il s’agit toutefois d’une appellation qui ne décrit qu’un aspect de l’œuvre pionnière de Rosso, difficile à catégoriser à bien des égards. Au fil du temps, l’artiste se concentre sur un répertoire restreint de motifs qu’il utilise de manière répétée avec différents supports et matières et qu’il décline en variations pour obtenir de multiples effets.

À partir de 1900, Rosso intègre systématiquement la photographie dans son processus créatif. Il photographie ses figures et expose ses prises de vue aux côtés de ses sculptures, et de travaux de ses contemporain·es et de copies d’œuvres d’art d’autres époques, sous forme d’ensembles. Par cette mise en scène, l’espace entourant les œuvres devient partie intégrante de l’effet sculptural global. Toutefois, les figures de Rosso ne sont pas uniquement destinées à des expositions, mais aussi, du fait de leurs dimensions intimes, à l’espace privé d’intérieurs bourgeois. Elles sont intrinsèquement liées avec ceux qui les observent et avec ‘ce tapis, ce fauteuil’ comme Rosso l’a lui-même décrit. ‘Nous ne sommes rien que les conséquences des choses qui nous entourent. Même lorsque nous nous déplaçons, nous sommes toujours liés à d’autres choses.’

Vingt ans après sa première et dernière rétrospective en Suisse, L’invention de la sculpture moderne met en évidence l’approche expérimentale de Medardo Rosso. Sa réalisation repose essentiellement sur les travaux de recherche et de préparation menés durant plusieurs années par Heike Eipeldauer, complétés par le concours d’Elena Filipovic à Bâle. L’exposition réunit près de 50 sculptures en bronze, plâtre et cire de Rosso, parmi lesquelles des pièces emblématiques, ainsi que des centaines de photographies et de dessins. Ces dernières décennies, nombre de ces œuvres n’étaient guère visibles hors d’Italie. Selon le principe de mise en regard, comme le pratiquait également Rosso, l’exposition présente son œuvre en ‘conversation’ avec plus de 60 photographies, peintures, sculptures et vidéos anciennes et contemporaines. Il en résulte des dialogues transgénérationnels entre artistes de l’époque de Rosso jusqu’à aujourd’hui, parmi lesquels Francis Bacon, Phyllida Barlow, Louise Bourgeois, Isa Genzken, Alberto Giacometti, Robert Gober, David Hammons, Hans Josephsohn, Yayoi Kusama, Marisa Merz, Bruce Nauman, Senga Nengudi, Richard Serra, Georges Seurat, Paul Thek, Rosemarie Trockel, Hannah Villiger, Andy Warhol, Francesca Woodman et d’autres. Comparativement à l’exposition viennoise, l’édition bâloise présente, en outre, des œuvres d’Umberto Boccioni, Miriam Cahn, Mary Cassatt, Marcel Duchamp, Peter Fischli et David Weiss, Felix Gonzalez-Torres, Sidsel Meineche Hansen, Henry Moore, Meret Oppenheim, Simone Fattal, Giuseppe Penone, Odilon Redon. L’exposition commence dès la cour intérieure où une œuvre de Pamela Rosenkranz est mise en regard de la sculpture Les Bourgeois de Calais de Rodin.

Medardo Rosso. L’invention de la sculpture moderne
Kunstmuseum Bâle / Neubau
St. Alban-Graben 8, CH – 4051 Bâle
Du 29.03 au 10.08.2025
Du mardi au dimanche de 11 à 18h
info@kunstmuseumbasel.ch
https://kunstmuseumbasel.ch/fr/kunstmuseum-basel
Une réponse à “Medardo Rosso. L’invention de la sculpture moderne”
Ce serait en effet rétrécir son oeuvre que d’y voir seulement une version sculpturale de l’impressionnisme. Mais les impressionnistes devenus classiques étaient aussi au départ des marginaux allant explorer d’autres paysages, au propre comme au figuré. Rosso y va à sa façon presque identique car leur côté éblouissant, chatoyant, et donc si populaire résida surtout dans leur audace à sortir du classicisme assoupi voire poussiéreux. Rosso sort lui aussi des normes conventionnelles, mais c’est presque une obligation incontournable pour quiconque veut s’exprimer puissamment mais pas brutalement.
Les artistes nous invitent tous à un voyage inattendu, dans nos têtes autant que nos sens et Rosso est de ceux-là. C’est doux, puissant et innovant à la fois.
Quand j’étais gamin dans ma grande maison d’enfance, il n’y avait aucune douche, mais deux baignoires. Je m’y détendais voluptueusement, et au fil de mes baignades j’observais l’évolution de la brique de savon qui, en fondant, devenait forcément une savonnette, se transformant souvent en une sculpture forcément toujours originale. Une fois il m’est apparu que cela ressemblait à… la Citroën DS 19, avec ses courbes lisses, d’une suprême élégance. (Dont soit dit en passant une Expo lui rend hommage à Autoworld.) Il est vraiment fascinant d’observer comment une répétition mécanique hasardeuse transforme le brut en douceur et beauté. Un paradoxe permanent et pourtant si stupéfiant qu’on n’y fait hélas même plus attention! Mais le fait est que la neige, le vent, la pluie et les écarts thermiques font de même aussi, partout dans la nature, à la fois si sauvage et pourtant subtile et ordonnée. Ou ordonnancée…
Il est navrant que les humains dont la brutalité ne cesse de croitre soient incapables d’en faire autant, que du contraire même, on le voit chaque jour davantage. Rosso est donc un poète brut, mais pas brutal. Il gagne évidemment à être connu. Merci pour cette découverte.