2022, getekend in Vlaanderen…


Une carte blanche signée Paul de Groeve, du Press Cartoon Belgium

Il est impossible d’évoquer les cartoons publiés en 2022 sans mentionner le décès de Karel Anthierens le 15 décembre. On ne peut que souligner son rôle dans la valorisation du dessin de presse en Belgique. S’il est devenu normal qu’un ou plusieurs dessinateurs soient publiés dans chaque journal ou magazine qui se respecte, il n’en fut pas toujours le cas. C’est Karel qui le premier a invité des dessinateurs au sein de ses pages, et c’est grâce à lui que Kamagurka, Gal, Marec, Zak, Meynen, Zaza, Cécile Bertrand, Cost., Pirana, Quirit, Royer et Steve, entre autres, se sont fait connaître. Faut-il rappeler que Karel a été chef de rédaction chez Humo, Panorama, Het Volk, BRUZZ, et secrétaire de rédaction de Knack, pour n’en citer que quelques-uns? Il est également fondateur et organisateur du Press Cartoon Belgium et du Press Cartoon Europe. Jusqu’il y a peu il sélectionnait régulièrement les meilleurs dessins du jour pour le Press Cartoon Belgium Award. Il n’est donc pas surprenant de voir le nombre élevé de cartoons réalisés à l’occasion de son décès. Je préfère celui de Marec, qui me fait chaud au cœur au moment pénible où un ami quitte ce monde. La qualité de cette image est de faire le lien avec un autre moment triste et intense vécu par les dessinateurs de presse: l’attentat contre Charlie Hebdo en janvier 2015. Marec en fait un moment de bonheur: Karel sourit, et nous avec lui! Une anecdote vaut la peine d’être contée: avant l’attentat, seulement trois personnes étaient abonnées à Charlie Hebdo en Belgique. L’une de ces personnes était… Karel Anthierens.

Marec, Karel Anthierens au paradis des cartoons. Ils ont même Charlie Hebdo ! Het Nieuwsblad, 16.12.2022 © Marec — Het Niewsblad

Les meilleurs cartoons sont souvent sans paroles. Cet autre dessin de Marec intègre miraculeusement la guerre en Ukraine, avec l’étrange table de négociation de Poutine, le jubilé et le décès de la reine d’Angleterre, la blague avec Paddington, les réactions des autres pays à cette guerre, et les figures des grands de ce monde. Ce dessin raconte à lui seul l’histoire de l’année écoulée, sans qu’un seul mot soit nécessaire, car il a le pouvoir de réunir en un seul lieu des souvenirs épars, distants dans le temps et dans l’espace. Les dessins de presse ont un pouvoir particulier, car outre qu’ils divertissent, ils influencent la perception du public quant aux questions politiques et sociales. Un exemple bien connu est l’affaire des cartoons danois, fin 2005, lorsqu’une série de caricatures du prophète Mahomet dans le quotidien Jyllands-Posten a fait sensation — et scandale — dans le monde entier. Si une image peut être offensante pour un certain groupe, c’est parce qu’elle ne donne que le seul point de vue de l’auteur. Ce cartoon est alors considéré comme une forme d’extrémisme. Le problème, c’est qu’à force de ne vouloir choquer personne, on ne verra bientôt plus que des images politiquement correctes, mais insipides et ennuyeuses. Incidemment, ces réactions ne sont pas toujours être négatives. On sait, par exemple, que la caricature, même féroce, d’un personnage politique, a des conséquences positives sur sa notoriété. Les innombrables cartoons consacrés à Trump ont-ils contribué à son succès? Voila qui pourrait être une étude intéressante! Les caricatures de Poutine susciteront-elles un jour des réactions positives?

Marec, Dag Allemaal, 27.12.2022 © Marec — Dag Allemaal

Dans le même contexte de la guerre en Ukraine, ce cartoon de Kamagurka se distingue. Kamagurka est un Belge et un Flamand, et donc issu d’un peuple qui pratique l’autodérision, et rit souvent de lui-même. Un pays qui a développé au cours de son histoire un sain réflexe vis-à-vis d’une autorité centrale trop dominante, et qui aime faire des pieds de nez à toute férule, quelle qu’elle soit. Dessinateur et artiste, Kamagurka apporte son humour tranchant, absurde et surréaliste. Un humour qui choque dans le même temps où il fait rire. Beaucoup de sa force vient de ce style de dessin inimitable, que l’on reconnaît entre mille, et de cette personnalité graphique exceptionnelle qui est la marque des grands. Comme pour tous les grands maîtres, le résultat le plus frappant est obtenu avec une grande économie de ressources: ce dessin semble maladroit à première vue, et pourtant, quelle efficacité! Kamagurka est un vrai conteur, tant les textes regorgent d’esprit. Le dessinateur explore souvent les frontières verbales de l’humour. Toutefois, ce que d’aucuns estiment être exagéré et sarcastique n’est qu’un miroir de la stratégie du mensonge de cette guerre, dans laquelle la tromperie devient une arme. Cette image expose avec force l’hypocrisie du discours officiel, ridicule, mais qui reflète la réalité jusqu’à en devenir absurde… jusqu’à l’horreur. Vladimir Poutine se reconnaîtra-t-il un jour, sans rire, dans ce miroir?

Kamagurka, En attendant notre référendum, voici les résultats…, Humo, 28.09.2022 © Kamagurka — Humo


Paul de Groeve


2 réponses à “2022, getekend in Vlaanderen…”

  1. Très bel hommage, et évidemment cent fois mérité. Ceux qui se demandent encore à quoi sert l’humour, l’ironie, les caricatures, l’impertinence tonique, auront ici la réponse: c’est vital au sens exact du terme: ce qui nous reste d’essentiel, faisant partie de « nos invariants » sur lesquels nous ne pouvons pas céder faute de quoi adieu la dignité. Depuis Molière, La Fontaine, Voltaire, Chaplin, Coluche et Reiser et tous les joyeux botteurs de cul des despotes, il devrait en être ainsi. Mais les temps sont plus durs que jamais. Car aucun rire n’a jamais empêché l’éclatement d’un missile ni les crimes contre l’humanité. Quelle humanité au fait? Surtout si l’on continue à voter pour des assassins ou des corrompus sans vergogne et qui rient aussi; pensant en aparté qu’en effet c’est comique! Et qui se trouvent beaux en plus!

    • La réponse se trouve dans le dessin: et si nous étions tous de gentils, idéalistes et pacifiques Paddington, face à l’ogre russe? Comme son maître, il ne connaît que le rapport de force, peu lui importe la brutalité des souffrances qu’il inflige. Mais, il ne s’agit là que d’un exemple, tant il semblerait que les dictatures se multiplient dans le monde. Est-ce une illusion? Si non, pourquoi?

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