Il est bon de rappeler brièvement quelques-uns des principes qui guident le Musée du Petit Format de Papier de Nismes-Viroinval, dont la 22e Biennale internationale se tient en ce moment. Tout d’abord, les artistes invités proposent une oeuvre en papier, ou sur un support papier de leur choix, mais toujours aux dimensions DIN A4 (21x27cm). L’envoi se fait uniquement par voie postale. La sélection étant faite en amont, l’artiste est assuré de sa totale liberté quant au traitement de la contrainte initiale, et est assuré de se voir exposé. Enfin, toutes les œuvres sont présentées dans un cadre identique, avec le même passe-partout uniforme, dans une scénographie analogue pour la présentation aux cimaises. Aucun passe-droit donc, les grands noms sont mis sur pied d’égalité avec les artistes moins connus, car seule l’œuvre en soi, et non la réputation ou la signature, est prise en compte. En ce millésime 2024, 151 artistes venant des cinq continents, avec un fort contingent européen il est vrai, ont répondu à l’invitation. C’est dire la diversité des approches et des solutions proposées, et la difficulté de présenter chacun de ces artistes en quelques lignes. Etant donné la contrainte du nombre de signes alloués, la subjectivité et les coups de cœur sont de rigueur.
La contingence du petit format implique une approche particulière, parce que la dimension influe sur le ressenti physique. Confronté à un format monumental, un réflexe ancestral se déclenche, basé sur la crainte d’une confrontation à une force supérieure, donc potentiellement dangereuse. Il en va de même avec le tout petit format, qui déclenche un mouvement de peur instinctive face à des organismes peu visibles et éventuellement nocifs. Le format A4 imposé ici se trouve donc à mi-chemin entre deux périls, le gigantesque et la miniature. Cela signifie aussi que la vision à distance n’est pas appropriée, pas plus que l’utilisation de la loupe ou du microscope.
Après avoir parcouru les cimaises, des convergences se dessinent ici et là entre quelques œuvres, et un petit air de famille s’établit entre ces individualités pourtant bien distinctes et créées sans la moindre proximité. Ainsi, le visiteur perçoit assez vite ces travaux qui se fichent de la notion de papier, en présentant par exemple des objets réalisés avec du bois, du métal, du plastique et des matières végétales, ou tout autre matériau. Certes, le support de fond est en papier, blanc, uni, mais on sent bien qu’il s’agit là d’une solution de raccroc afin de rester dans les termes du contrat tout en ne respectant pas son esprit. Dans ce cas, le rôle du papier est négligeable, il se cantonne à n’être qu’un support de fond parce qu’il le faut bien.
Dans une autre famille, on trouve des œuvres photographiques et d’autres réalisées par tirage numérique, traduisant le plus souvent des objets en trois dimensions aux deux dimensions de la feuille. Quelle que soit la qualité et l’intérêt de ces images, la présence du papier semble fortuite, dictée par les servitudes techniques, et le visiteur considère que la contrainte de base n’y est pas vraiment exploitée. Il est symptomatique que devant ces œuvres le public élabore des scénarios complexes visant à décrypter les contenus afin de trouver la symbolique évoquée par l’image, comme s’il s’agissait d’un tableau ou d’une photographie, ou tout autre moyen de reproduction. Chez Sophie Négrier, par exemple, ce tas de sucres en morceaux invite à gamberger sur le goût, les souvenirs d’enfance, la mondialisation, la traite des esclaves, l’industrialisation de l’agriculture, le château de cartes, les blocs de construction d’une pyramide, etc.
L’exposition propose une majorité d’œuvres difficilement pensables en dehors du support en papier. Dans cet ensemble, des sous-ensembles s’imposent, à commencer par celui des collages. Les auteurs y associent des images imprimées, divers papiers ou cartons aux textures différenciées comme chez Domenico Pievani, voire des extraits quasi abstraits de photographies comme chez Peter Schuppisser.
On peut imaginer un autre sous-ensemble — le plus volumineux par sa taille — constitué des travaux où le dessin, la gravure, et tout autre mode qui examine la relation du support papier aux pigments et aux outils d’inscription. Cela va du dessin le plus académique au travail par ordinateur, avec des programmes aléatoires, tels que ceux proposés par Vincent Strebelle, et aux multiples possibilités de la gravure sous toutes ses formes. On en prend pour exemple le travail de Kelly Valk et de Gisbert Stach, ou de Chantal Hardy: une lithographie imprimée sur papier de soie, avec divers pigments colorés, l’ensemble étant ensuite collé sur un papier Zerkal, ce qui crée une série de plis imprévisibles. Ces plis appellent les notions de gaufrage, de plissage ou de perforation du papier, ces techniques qui nourrissent les œuvres d’Isabelle Linotte ou de Nathalie Doyen par exemple.
Les spécificités du petit format de papier, et elles seules, génèrent un plus petit nombre d’œuvres, mais les plus intéressantes peut-être parce qu’elles ne racontent que les ressources du médium, ainsi que l’inventivité d’artistes capables de le valoriser de façon inattendue. Ainsi, il est difficile de choisir entre les bas-reliefs de Judith Nem’s et de Véronique Cordonnier, qui toutes deux examinent les possibilités d’incisions ou de pliages d’un papier sélectionné, étant entendu qu’un type de papier ne réagit pas comme un autre, et offre donc des solutions parfois très différentes à partir du même impératif.
L’ingéniosité inventive de Côme Lequin, de Cécile Ahn et de Bernard Boigelot, par exemple, surprend et montre qu’il y a des voies (presque) infinies lorsqu’un artiste se saisit de la contrainte initiale et en fait un objet de jeu. Jouant de l’envoi de son travail par voie postale, Côme Lequin fait parvenir aux organisateurs une enveloppe à l’intérieur de laquelle une surface blanche fait face à une surface encrée. Il y lâche une petite bille, en lui souhaitant bon voyage. Durant le trajet, la bille roule et s’encre au gré des secousses, et son parcours se lit ensuite sur la surface blanche. Le voyage des petits papiers se visualise tout autrement dans les compositions graphiques de Bernard Boigelot, amoureux des timbres-poste, du graphisme des sceaux et des cachets postaux, que l’on ne trouve nulle part ailleurs. Cécile Ahn recycle de vieilles étiquettes de camembert. Après les avoir découpées et réduites à de fines bandelettes tressées, l’artiste les crochète, tricote ou tisse jusqu’à obtenir une surface qui ressemble désormais à un fragment de patchwork. Du monde des saveurs et des textures du fromage, on passe imaginairement à la chaleur de la couverture, à son confort et sa texture, à une autre gamme de sensations.
Avec Réassurance pierre PF, Doris Schalling et Jörg Enderle fabriquent leur propre papier, à la main, afin que celui-ci puisse garder l’empreinte de la roche qu’il enveloppe à la manière d’un écrin. Cette situation défie la logique, car contrairement à la coquille d’huître qui protège sa perle, ici c’est l’enveloppe fragile qui enregistre son contenu, avec la tactilité au cœur du processus. De son côté, Camille Truyffaut travaille à partir de chemises ou fardes en carton industriel, en exploitant leur décoloration lorsqu’elles sont exposées à la lumière. L’artiste n’intervient donc pas, sinon pour déterminer le type de lumière et la durée d’exposition. Une vision poétique en ferait une sorte de paysage marin au soleil couchant.
Si l’on reste dans le registre poétique, l’envoi d’Elina Salminen évoque les espaces glacés du Grand Nord, avec leurs banquises et leurs falaises, sans âme qui vive, leur lumière aveuglante de blancheur. L’imagination ne peut s’empêcher de rêvasser devant une telle image. Et pourtant, il ne s’agit que d’un Ready made, d’une enveloppe postale, industrielle et normalisée. L’artiste l’a déchirée, exposant sa face intérieure, habituellement invisible, en y invitant l’inattendu de l’accident. La matérialité d’un minuscule bout de papier, tout simple, déclenche la songerie vers les plus intenses des spectacles naturels. Quel tremplin à émotions!
22e biennale internationale Petit format de Papier
Musée du Petit Format d’Art Contemporain
Centre culturel Action Sud
Rue Vieille-Église 10, 5670 Nismes (Viroinval)
Du 31.08 au 29.09.2024
Du mardi au vendredi de 12h30 à 18h
Le dimanche de 10h à 17h
https://action-sud.be/ActionSud
https://www.museedupetitformat.be/blog/
Et par la suite:
Pôle muséal Les Bateliers
Rue Joseph Saintraint 7, 5000 Namur
Du 15.10 au 17.11.2024
Du mardi au dimanche de 10 à 18h
https://www.namur.be/fr/loisirs/culture/musees/les-bateliers/une-bateliers/presentation-generale
2 réponses à “22e Biennale internationale Petit Format de Papier ”
Magique ! Merci Vincent !
Alys
Merci pour ce très bel article reprenant bien la diversité présente dans notre exposition. À bientôt !