64_page (sans faute d’orthographe), revue de récits graphiques, existe depuis 2014. Certains prévoyaient alors sa disparition à court terme, parce que la formule ne répondait pas aux exigences du marketing, sans voir que la publication rencontrait — et rencontre plus que jamais — un besoin qui n’est plus couvert ni par les publications traditionnelles, ni les fanzines qui pullulent sur les réseaux sociaux.
Puisque les grandes machines commerciales de la bande dessinée imprimée visent la rentabilité immédiate, il n’existe plus un espace offert aux jeunes auteur.e.s qui n’ont pas encore fait leurs preuves. On cherche vainement un lieu d’édition professionnel où montrer son savoir-faire, sans limites de ligne éditoriale, de sujet, de technique. Où trouver une opportunité pour se confronter aux contingences matérielles de la publication et aux lecteurs? Il faut saluer l’adhésion de la plupart des enseignants des diverses écoles spécialisées, ainsi que les enseignants des Académies, en Belgique et à l’étranger, qui y voient le complément idéal à leur enseignement de la bande dessinée.
Quelques noms aujourd’hui appréciés ont fait leurs premiers pas dans 64_page. Sans pouvoir les citer toutes et tous, parmi les plus belles réussites du domaine des récits en images, on retient en vrac Éléonore Scardoni, Mathilde Brosset, Sandro Coco, Xan Harotin, Debuhne, Patrice Réglat-Vizzavona, Michel Di Nunzio, Élodie Adelle (qui signe le 4e de couverture), Quentin Heroguer, Dina Melnikova, Lison Ferné, Remedium, Aurélie Wilmet, Benedetta Frezzotti et Christopher Boyd. Il est à noter le caractère international de cette liste qui comprend des auteurs issus de plusieurs pays européens: France, Suisse, Italie, Écosse, et même la Russie. En attendant la vague suivante, qui déjà se presse au portillon…
Cette 23e édition se focalise sur une thématique, comme 64-page le fait de plus en plus souvent, sans être figée dans la formule. Ce numéro est consacré au noir et blanc. Une vingtaine de jeunes auteur.e.s ont relevé le challenge, avec des récits plus ou moins longs et un beau sens du professionnalisme. Jeunesse oblige, noir ne signifie pas nécessairement anéantissement ou déprime, malheur et clandestinité: il est aussi, parfois, source de joie. L’ensemble est représentatif des tendances de la bande dessinée actuelle, dans ce qu’elles ont de plus divers, représentant la plupart des genres narratifs, des styles graphiques et des manières de gérer un scénario. Les contenus filent dans tous les sens, avec des personnalités qui choisissent de broyer du noir ou de voir la vie en rose, ou de mélanger les deux.
La revue, désormais semestrielle, et qui est passée à 128 pages, propose aussi une nouvelle rubrique intitulée Une page, une histoire, qui laisse une absolue carte blanche aux auteurs à la seule condition de respecter la contingence d’un récit complet en une seule page. Une autre rubrique s’ouvre au cartoon.
Depuis ses débuts, 64_page étoffe son propos par des textes qui présentent l’un ou l’autre aspect de la bande dessinée, que ce soit l’interview d’auteurs, le compte-rendu de publications, la réflexion sur une oeuvre ou un thème, de courtes monographies, l’envers du décor éditorial, etc. Sans oublier l’une ou l’autre rubrique qui s’installe avec le temps, comme un billet d’humeur, la présentation de projets non aboutis. Ici encore, aucune formule n’est fixe, et la revue s’ouvre à tout ce qui pourrait intéresser le lecteur. Ce numéro 23 rend ainsi hommage à Frans Mazereel, Jacques Tardi, Patrick Manchette, Christophe Chabouté, Bastien Vivès, Milton Caniff et André Franquin, ces maîtres incontestés du noir et blanc, avec un dossier spécial sur la bande dessinée libanaise contemporaine. Loin d’être un magazine de promotion plus ou moins déguisée, et sans la moindre publicité, 64_page se positionne ainsi comme un lieu vivant qui rend compte du monde des récits en image dans son ensemble. Elle met l’accent sur les potentiels d’une jeunesse qui croit en la qualité de sa pratique, et se prépare ainsi à un avenir prometteur.
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