8 mars 2024, Journée internationale des femmes, 1/3


Deux options se présentent à qui souhaite rendre hommage à la présence des femmes dans l’art de la peinture occidentale. Soit on examine la manière dont l’histoire de l’art les représente, soit on évoque le rôle des femmes artistes. Cette seconde option est examinée ici.

Eduard Deage, L’Invention de la Peinture, 1832, Alte Nationalgalerie, Berlin © Alte Nationalgalerie, Berlin

Tout aurait commencé avec Callirrhoé de Sicyone, fille du potier Boutadès, dans la Grèce antique au 6e siècle avant notre ère. Selon Pline l’Ancien, l’amoureuse aurait tracé le profil de son amant, appelé à la guerre. De là serait née l’invention du dessin. Deux remarques émergent de cette mythologie. Premièrement, tout commence avec une femme, comme Eve dans la Genèse. Deuxièmement, la jeune femme est amoureuse, ce qui — sous prétexte de romantisme — signifie la perpétuation de l’espèce. La reproduction est probablement la force la plus fondamentale et la plus aveugle qui dirige le genre humain, peu importent les individus.

Jean-Baptiste Regnault, L’Origine de la Peinture, 1785, Château de Versailles © Château de Versailles

Heinrich Eddelien, L’Origine de la Peinture, 1831, Statens Museum for Kunst, Copenhague © Statens Museum for Kunst, Copenhague

Le grand retour du mythe, peu actif tout au long de l’histoire de l’art jusque-là, s’effectue au moment du néo-classicisme à la fin du 18e siècle. Car ce mouvement artistique d’ampleur européenne souhaite le retour aux sources de l’art, qu’il situe dans l’Antiquité dépositaire de sagesse et de vérité, et modèle indépassable à ses yeux.

Pour l’individualité des femmes artistes, tout commence à la Renaissance, avec des jeunes femmes, filles de peintres, ou issues de familles aisées. Toutes affirment très tôt une volonté d’indépendance, un caractère bien trempé, et toutes sont remarquablement douées. La première dont on connaisse les œuvres avec certitude est l’Anversoise Catharina van Hemessen (1528-1587), qui est aussi la première à réaliser son autoportrait en train de peindre. Elle se spécialise dans les portraits de femmes de la bourgeoisie, et les scènes religieuses. Son parcours est documenté car elle est soutenue par Marie de Hongrie, régente des Pays-Bas et sœur de Charles Quint. Fait exceptionnel, elle est aussi la première femme qui reçoit l’autorisation d’enseigner. C’est une autre femme, Sofonisba Anguissola, qui succède à Catharina van Hemessen à la cour d’Espagne.

Catharina van Hemessen, Autoportrait, 1548 © Kunstmuseum de Bâle

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Sofonisba Anguissola (1532–1625) deviendra peintre officielle des cours de France et d’Espagne, et professeure de dessin et de peinture pour des reines, des princes et des princesses. Faut-il dire combien elle était admirée de tous ses confrères masculins, y compris Michel-Ange, qui s’est dit impressionné par son talent, et qui l’a aidée dans la promotion et la diffusion de son oeuvre? En un mot, Sofonisba Anguissola était ce que l’on appelle aujourd’hui une superstar, qui va permettre l’éclosion de nombreux talents. Cependant les historiens se disputent, car jadis on a attribué nombre de ses tableaux à un artiste dont elle était proche: Alonso Sánchez Coello. Enfin, elle restera longtemps la seule femme à oser un autoportrait alors qu’elle est vieille.

Sofonisba Anguissola, Autoportrait avec Bernardino Campi, 1549 © Pinacothèque nationale de Sienne

Sofonisba Anguissola, Autoportrait, 1610 © Fondation Gottfried Keller, Winterthur

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Lavinia Fontana (1552-1614) se marie à Gian Paolo Zappi, un peintre mineur qui arrête sa carrière afin de promouvoir celle de sa femme, plus douée. Il devient son assistant, son secrétaire, trouve des commanditaires et gère la vente et des tableaux ainsi que la diffusion de l’œuvre. En un mot, il invente le métier d’agent d’artiste, des siècles avant que cela en devienne la norme. Pour l’anecdote, Lavinia Fontana sera pour longtemps la première à peindre d’autres femmes, nues, qu’elle présente sous prétexte de scènes mythologiques.

Lavinia Fontana, Autoportrait à l’atelier, 1579 © Uffizi-Firenze

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Fede Galizia (1578–1630) se spécialise dans les natures mortes et les portraits. Dès douze ans, elle est déjà une artiste accomplie qui n’a presque plus rien à apprendre. Lorsqu’elle atteint l’âge de dix-huit ans, ses contemporains estiment que ses portraits, comme ses natures mortes, « sont si ressemblants que davantage ne peut être souhaité ».

Fede Galizia, Cerises dans une coupe en argent, vers 1604 © Collection privée, tous droits réservés

Maria Faydherbe (1587-1643) est une sculptrice qui n’a jamais hésité à revendiquer publiquement ses droits dans le milieu de la sculpture, très majoritairement masculin. Elle a pour cela été aidée par sa famille dont chacun des membres, des garçons surtout, faisaient partie du milieu établi de la sculpture.

Maria Faydherbe, Vierge à l’Enfant, 1633 © Musée Hof Van Busleyde, Malines

Artemisia Gentileschi (1593-1656), fille de peintre et surdouée depuis l’enfance, souhaite suivre les pas de son père. Parce qu’aucune formation établie et reconnue n’est accessible aux femmes, Orazio Gentileschi confie l’éducation artistique de sa fille à un collègue, Agostino Tassi. Celui-ci viole la jeune fille âgée de 18 ans, et la condamnation du violeur lors d’un procès humiliant pour la jeune femme ne restera qu’un principe jusqu’à ce qu’il soit envoyé aux galères pour récidives sur d’autres femmes. Voilà peut-être pourquoi Artemisia trouve satisfaction dans la noirceur du Caravage, et pourquoi les mouvements féministes modernes citent souvent Artemisia Gentileschi en exemple, car quelques-uns de ses tableaux dénoncent les violences masculines impunies envers les femmes.

Artemisia Gentileschi, Judith décapitant Holopherne, 1612 © Musée Capodimonte, Naples
Artemisia Gentileschi, Autoportrait en Allégorie de la Peinture, 1638 © Royal Collection, Buckingham Palace, Londres

La production de Clara Peeters (1594-1659) détonne. On sait très peu de choses d’elle, sinon que l’artiste provient de la ville d’Anvers, et a été formée par son père. Son oeuvre est étrange, parce que fondée sur la représentation de l’abondance de nourriture, une préoccupation radicalement différente de la production de ses consoeurs. Jusque-là, et peut-être pour être prises au sérieux, les femmes peintres travaillaient dans un registre grave, qui en appelle à la culture, l’allégorie ou la noblesse des sentiments: une peinture des idées et des contenus élevés. Au contraire, Clara Peeters semble fascinée par l’abondance des textures et des matières, et du pouvoir de la peinture à l’huile à en donner une figuration proche de la réalité optique.

Clara Peeters, Nature morte aux fromages, artichaut et cerises, vers 1625 © LACMA

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Judith Leyster (1609-1660), néerlandaise, est une des rares femmes peintres à ne pas être née dans un milieu artistique. Douée pour la peinture, cette fille de brasseur, responsable de sa nombreuse famille à la mort de son père, devient artiste, et se spécialise dans les scènes de genre, très rentables et très demandées au Siècle d’or de la peinture hollandaise.

Judith Leyster, Autoportrait, 1630 © National Gallery, Washington

Louise Moillon (1610-1696), peu connue aujourd’hui, était appréciée au 17e siècle pour la qualité de ses tableaux peints dans le moindre des détails comme s’il s’agissait de miniatures géantes. Ses préoccupations de peintre pourrait rejoindre celles de Clara Peeters, dont elle est quasi contemporaine. Toutes les deux indiquent un nouveau chemin, plus matérialiste par rapport aux images idéalistes des artistes plus anciennes.

Louise Moillon, La Marchande de fruits et légumes, 1630 © Musée du Louvre, Paris

La Portugaise Josepha de Óbidos (1630-1684) travaille si bien dans l’entreprise familiale consacrée à la peinture religieuse qu’elle en prend la direction, ayant de nombreux assistants masculins sous ses ordres. Si quantitativement la production des mains de l’artiste est énorme, elle reste aujourd’hui encore relativement inconnue et peu mise en valeur.

Josefa de Óbidos, L’Agonie de Sainte Marie Madeleine, vers 1679 © Musée du Louvre, Paris

Maria van Oosterwijk (1630-1693), néerlandaise, se spécialise dans les natures mortes florales. Puisque le fait d’être femme lui interdit de faire partie d’une corporation artistique, sa virtuosité et ses contacts lui ouvrent les portes des milieux aristocratiques européens, en France, en Angleterre, en Allemagne, ce qui lui offre le succès et la notoriété à défaut de popularité.

Maria van Oosterwijk, Nature morte au vase de tulipes et autres fleurs, et insectes, 1559 © Cincinnati Art Museum

Elisabetta Sirani (1638-1665) est curieuse de tout, et sa culture est immense, y compris en ce qui concerne la littérature et les théories de l’art de peindre, la musique et ses dons de chanteuse. À 17 ans, elle reprend la direction de l’atelier de son père, et œuvre en son nom, faisant du lieu une véritable attraction touristique. Elle a été obligée de peindre en public afin de faire taire les soupçons d’imposture. Aurait-elle pris sa revanche avec Timoclée jetant le Capitaine Thrace dans le puits, montrant une jeune femme, violée, qui par ruse parvient à se venger de son agresseur en le jetant dans un puits, puis l’achevant à coups de pierres? Elle est la première à ouvrir une école qui enseigne la peinture aux filles et aux femmes, l’enseignement d’alors étant exclusivement réservé aux garçons, notamment parce que la vision de modèles nus, masculins ou féminins, est interdite à la gent féminine.

Elisabetta Sirani, Beatrice Censi, 1662 © Galleria Nazionale d’Arte Antica, Rome
Elisabetta Sirani, Timoclée jetant le Capitaine Thrace dans le puits, 1659 © Musée de Capodimonte, Naples

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Elisabeth-Sophie Chéron (1648-1711), fille d’un peintre, a suffisamment de qualités pour bien vivre de sa peinture, même si peu de ses tableaux sont arrivés jusqu’à nous. Par contre, ses dessins restent comme étant parmi les plus aboutis de son époque. Surdouée ayant plus d’une corde à son arc, elle est aussi poète, traductrice en plusieurs langues anciennes, et musicienne accomplie.

Élisabeth-Sophie Chéron, Homme étendu, le front sanglant, craie blanche © Collection de l’Ecole des Beaux-Arts de Paris

Rachel Ruysch (1664-1750). La jeune Hollandaise est encouragée par son père botaniste à se spécialiser dans les sujets floraux, très à la mode en Hollande de l’époque. Sa virtuosité dans la manipulation du médium qui permet un rendu exceptionnel des matières, des textures et des lumières, ainsi que le cadrage en gros plan de ses images, lui assurent très vite une large reconnaissance, et le succès.

15 Rachel Ruysch, Nature morte forestière, 1717, Collection privée © Domaine public

Rosalba Carriera, L’Hiver (autoportrait), 1730 © Gemäldegalerie Alte Meister, Dresde

Rosalba Carriera (1675-1757) est reconnue pour la qualité de ses pastels et de ses miniatures. Rencontrant un peintre français installé à Venise, elle s’initie à la peinture. L’autoportrait ci-dessus indique déjà l’orientation que prendra l’art les décennies qui suivent, car cette dentellière de formation est une des premières à interroger ouvertement la peinture à l’huile en tant que médium spécifique, donc l’idée de représentation, l’artiste laissant voir les moyens mis en oeuvre pour y parvenir. L’intuition de ce que pourrait devenir de la peinture s’y dessine, un siècle et demi environ avant l’Impressionnisme.

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Issue elle aussi d’un milieu artistique qui lui offre une éducation de premier plan, la Vénitienne poétesse et mathématicienne Giulia Lama (1681-1747) se hasarde du côté de la peinture d’Histoire, domaine noble traditionnellement réservé aux hommes. Mal lui en prend, car l’hostilité de ses confrères masculins, ainsi que sa manière rugueuse de manier les pinceaux, font barrage à la reconnaissance de ses qualités, ce qui la condamne à subsister par d’autres moyens moins glorieux. Vers 1720, elle peint ce Martyre de Saint-Jean l’Evangéliste où l’homme, refusant d’abjurer sa foi, est condamné à être jeté dans une cuve d’huile bouillante.

Giulia Lama, Le Martyre de Saint Jean L’Évangéliste, 1720 © Musée des Beaux-Arts, Quimper

On connaît peu de choses Françoise Duparc (1705-1778) sinon qu’elle est originaire de Marseille. À la fin de sa vie, elle fait don à la ville de quatre tableaux dont La Vieille Dame. On est frappé par la qualité de ses peintures, dont le principal souci semble être le rendu des infinies nuances de la blancheur, et des tons pâles en général comme l’indique la carnation du modèle.

Françoise Duparc, La Vieille Dame, non daté © Musée des Beaux-Arts de Marseille

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Marie-Anne Collot (1748-1821) est une artiste qui fréquente les philosophes des Lumières, qui apprécient leur portrait sculpté par la jeune femme. Issue d’un milieu modeste, elle est d’abord modèle chez des sculpteurs, auprès de qui elle apprend le métier et ses techniques. Devenue l’assistante de Falconet, appelé en Russie pour réaliser la statue équestre du tsar Pierre 1er, elle en réalise une maquette en terre cuite remarquée. Elle devient ainsi la première femme à être admise à l’Académie des Beaux-Arts de Saint-Petersbourg… alors qu’auparavant elle avait été refusée à l’Académie française.

Marie-Anne Collot, le tsar Pierre 1er de Russie © Musée du Louvre, Paris


4 réponses à “8 mars 2024, Journée internationale des femmes, 1/3”

  1. Avec une telle débauche d’information, il ne te reste plus qu’à recommencer ta carrière pour la reprendre prendre là où tu l’avais laissée! Tu as de quoi donner cours pendant six années au moins.!

    Une chose me stupéfie sans trop me surprendre toutefois :ces femmes ont eurent toutes autant de talent que les mecs.
    (Voire pas davantage). Mais chuuut, ne pas ébruiter cela: sur les plateaux de télémetoo cela vire carrément au bashing, à la parano, à la persécution rageuse. Si j’avais été dans la salle de la distribution des César hier, devenu chaque année davantage un tribunal tenu par Robespierre et un greffier nommé Fouquier-Tinville, je serais parti en courant, de peur qu’on me guillotine la queue. Il y a décidément un terrorisme du nouveau genre prétendu moderne et dominant encore pire que tout ce qu’elles-mêmes subirent jadis. Mais ce n’est pas une solution! Liberté, que de crimes on commet en ton nom s’écria Mme Roland au pied de l’échafaud. Exact. Mais au nom de l’égalité aussi!!!
    De toute façon, la guerre des sexes n’aura pas lieu car il y a trop de fraternisation avec l’ennemi.

  2. Quelles personnes douées et volontaires, merci Vincent de nous les faire découvrir! Et aussi merci Xavier pour ton écriture lucide. À bientôt, les amis

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