À l’agenda… 


Devant l’abondance d’expositions que génère la rentrée artistique, Lucterios déroge au principe d’une publication hebdomadaire focalisée sur un seul thème. Parmi les dizaines de sollicitations du moment, trois méritent d’être mentionnées. Il s’agit de coups de cœur subjectifs, bien entendu. 

Gilles Barbier

Gilles Barbier, Equilibrium, 2023 © Gilles Barbier

Chaque matin, Gilles Barbier se livre à un exercice de gymnastique particulier intitulé Ce qui est sorti du chapeau aujourd’hui. L’artiste s’y dérouille l’esprit créateur, et là où on s’attendrait à voir l’apparition convenue d’un lapin, le magicien Barbier s’ingénie à associer les idées les plus imprévues et les plus surprenantes, voire délirantes, mais toujours dans la ligne d’un thème donné. Cette contrainte en tête, l’artiste laisse son imagination vagabonder librement, sans le moindre a priori et sans jugement ni le moindre critère. Un tiers environ de la cinquantaine de pièces exposées ici, qui appartiennent à la récente série Equilibrium, mettent en scène des livres ayant déjà bien vécu pour la plupart, photographiés sur le modèle du château de cartes. Comme l’indique le titre, il s’agit d’un exercice d’équilibriste au sens premier du terme, d’une mise en scène en trois dimensions… et précaire. Aucune approximation n’est permise, sans colle ni clou ni vis. On imagine le nombre d’essais et d’erreurs qu’une telle construction nécessite, puisque chaque ouvrage diffère quant à son format, son poids, ses dimensions, sa rigidité, sa résistance à la glissade, son épaisseur, ses qualités d’objet physique. L’assemblage se considère terminé lorsqu’il résiste aux lois les plus élémentaires de la gravité. Aucun trucage n’étant utilisé, la fragilité de ces bricolages les rend éphémères comme la tectonique des plaques; ceci explique pourquoi il est nécessaire qu’un document photographique témoigne de la magie de l’instant. On imagine Gilles Barbier sérieux comme un enfant qui joue lorsqu’il se livre à de telles improvisations, puis une autre, puis une autre encore plus risquée, et ainsi de suite plusieurs dizaines de fois. Il est ainsi une famille d’artistes dont l’art folâtre aux confins du jeu, ou du cirque. Comme les équilibristes là-haut sur leur corde, l’important est de laisser croire que c’est facile. 

On pourrait en rester là, sauf que les titres de chacun de ces ouvrages recouvrent l’ensemble de l’activité humaine de haut niveau, comme la philosophie, la science ou l’art, par exemple. Chacun de la douzaine de livres présents dans chacun des montages évoque ainsi l’univers des romans ou des musées, la biologie, les pensées écologiques et politiques, la cuisine, la bande dessinée dans tous ses états, la sociologie, les arts d’autres lieux ou d’anciennes civilisations, etc. Si les domaines représentés sont aussi divers qu’innombrables, ces bricolages sont à l’image des processus du vivant et de l’évolution qui s’adapte, un patchwork de fragments toujours en équilibre instable: nos vies y ressemblent. Ainsi, cette série semble une excellente porte d’entrée à l’ensemble de l’oeuvre de Gilles Barbier, mais aussi une initiation à l’art contemporain dans ce qu’il a de moins prétentieux et de plus généreux. Et si Gilles Barbier était un artiste parmi les meilleurs de l’art actuel, tous types de pratiques confondues? Il est probable que l’avenir le confirmera. 

Gilles Barbier, Propriétaire? Locataire?
Huberty & Breyne
Place du Châtelain 33, 1050 Bruxelles
Du 08.09 au 14.10. 2023
Du mercredi au samedi de 11 à 18h
www.hubertybreyne.com

Gilles Barbier, Still Memory, 2023 © Gilles Barbier

Marina Abramović

Marina Abramović, The Biography, 1992 © Marina Abramović 

« S’il n’y avait pas d’artistes il n’y aurait pas de musées. Ainsi nous sommes des portes vivantes » a dit Marina Abramović. Les musées sont une apparition récente dans l’histoire de l’humanité puisque ces premiers sanctuaires destinés aux Muses datent de la Renaissance, lorsqu’un propriétaire privé réunissait ses collections d’objets d’art. Ils sont le fruit de l’individualisme, la conception qui met l’individu au centre, au contraire d’autres visions qui accordent la primauté au groupe social. De là aussi l’idée d’artiste comme quintessence individuelle immédiatement reconnaissable à ses particularités visuelles. Certains feront de cette recherche de style un des seuls critères artistiques. 

Ayant grandi en Serbie, dans l’ex-Yougoslavie communiste, dans une région à la violence endémique entre groupes ethniques, culturels ou religieux, Marina Abramović a trouvé dans l’art un moyen de vivre de manière plus créative et surtout moins traumatisante — selon nos critères, loin d’être universels comme on le sait. Il n’empêche, ses premières performances en 1973 se marquent du sceau du danger, réel, par exemple lorsqu’elle manipule des objets dangereux, provoque son propre étouffement où quand elle utilise des médicaments afin de tester les limites de tolérance de son corps. L’artiste explique: « Je suis intéressée par l’art qui dérange et qui pousse la représentation du danger. Et puis, l’observation du public doit être dans l’ici et maintenant. Garder l’attention sur le danger, c’est se mettre au centre de l’instant présent ». Afin de s’assurer la connivence du public ou impressionner des spectateurs, l’artiste n’hésite jamais à mettre à mal son propre corps, en position inconfortable dans laquelle, souvent, la nudité frappe le souvenir. Elle sait aussi que les spectateurs ne manquent pas de partager la douleur, en imagination, ce qui imprègne la mémoire. Deux performances, prises au hasard parmi tant d’autres, témoignent de tout ceci. The Biography, en 1992, fait apparaître l’artiste comme un Christ en croix, immobilisée de force et suspendue dans les airs, deux serpents qui tuent leurs proies en les étouffant dans leurs anneaux lui enserrant les mains. L’autre performance, réalisée en 1977, s’intitule Imponderabilia, et met en scène l’artiste et son mari Ulay, nus, debout à l’entrée de l’exposition. Pour y accéder, il faut que les visiteurs, habillés, se faufilent entre les corps nus en s’y frottant, en s’y pressant, ce qui crée souvent une gêne. Cette manière de mettre mal à l’aise fait évidemment partie de la performance, afin que le public se pose une série de questions qui ne l’effleurent pas nécessairement dans les visites habituelles d’une exposition d’art, là où le plus souvent il regarde à distance.

Marina Abramović
Royal Academy of Art
Burlington House, Piccadilly, London W1J 0BD
Du 23.09.2023 au 01.01.2024
Du mardi au dimanche de 10 à 18h
Le vendredi nocturne jusqu’à 21h
https://www.royalacademy.org.uk/

Marina Abramović and Ulay, Imponderabilia, 1977 © Marina Abramović

WAR

Seed Factory / La Maison de l’Image, WAR, extraits du dossier de presse, 2023 © les auteurs ou ayant-droits

La Maison de l’Image et Seed Factory présentent un choix iconographique de toutes les guerres du 20e siècle jusqu’à nos jours, y compris la guerre en Ukraine. On y verra les œuvres les plus significatives de l’illustration de presse, du dessin politique et de l’image de propagande en relation avec la guerre. Encore qu’il soit inconvenant de parler d’esthétique au sujet de la guerre, les organisateurs assument qu’un des critères principaux de leur sélection est précisément la qualité esthétique des images.

Seed Factory / La Maison de l’Image, invitation au vernissage, 2023, illustration © Jean-Louis Lejeune 

WAR
Seed Factory / La Maison de l’Image
Avenue des Volontaires 19, 1160 Bruxelles
Du 12.10. au 29.12.2023
Du lundi au vendredi de 9 à 17h
Fermé les samedis, dimanches et jours fériés
https://www.seedfactory.be/maison-de-limage/

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6 réponses à “À l’agenda… ”

  1. Cher Vincent, une fois de plus merci pour ces présentations d’artistes remarquables. Je me suis amusé à lire ton commentaire sur les remarquables travaux de Barbier mettant en scène des livres, en noir et blanc. Tu nous parles de photographies. Et moi aussi, au premier coup d’œil, j’ai cru que c’était des photos et j’ai félicité Gilles Barbier lors du vernissage. Et c’est lui qui m’a signalé ma méprise. Ce ne sont pas des photos mais des peintures à l’acrylique en noir et blanc. C’est tellement bien fichu qu’on dirait des photos. Il est fort, le mec. Et ça m’a amusé qu’un spécialiste de l’image comme toi se laisse prendre ! Donc en un mot : bravo Gilles Barbier ! Et foncez voir son expo chez Huberty-Breyne ! Amitiés Philippe Geluck

    • Merci de ton commentaire Philippe. En effet, j’ai été bluffé, et cela ne fait que renforcer mon admiration pour une oeuvre qui ne se prive pas d’humour… et de virtuosité rare, très rare même. Avec une nouvelle interrogation: mais alors, comment c’est fait ? Et un début de réponse: peut-être est-ce une autre sorte de montage ? Ceci renforcerait la thèse du montage habile entre les contenus et les moyens mis en oeuvre afin parvenir à une telle image. Et donc il me reste à revoir le texte, et à contacter l’auteur afin de connaître le fin mot de l’histoire. Merci encore d’avoir signalé le piège, et de rappeler combien Gilles Barbier est de la classe des meilleurs.

      Amitiés 😉

      vb

  2. Bonsoir Vincent,
    Je te remercie mille fois de me faire partager tes magnifiques regards et découvertes.
    C’est toujours un réel plaisir de te lire et relire.
    Amitiés.
    Marianne Duvivier

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