Adieu les Bisounours, et bienvenue dans Jurassic Park


La guerre est de retour. On pensait que la guerre était has been. En consommant la paix, nous ne voulions pas voir la réalité du monde qui tient en deux constats, selon les experts. Premièrement: la guerre est l’état naturel du monde, et la paix est une exception. Deuxièmement: le conclave des nations qui a créé l’ONU, un organisme de maintien de la paix, n’a jamais empêché une guerre quelconque. Soyons donc pessimistes: certains voient notre futur proche comme la fin de l’anthropocène. Comparée à cette fin qui n’est autre que l’extinction de l’humanité, la guerre et l’embrasement de la planète apparaîtront bientôt comme une péripétie mineure. Mais tout cela ne doit pas nous empêcher de travailler à maintenir la paix même si, comme nous venons de nous en souvenir, la paix n’est jamais qu’un interlude entre deux guerres.

Pablo Picasso, Espagne, Guernica, 1937

L’exposition qui démarre dans quelques jours chez Seed Factory/La Maison de L’Image n’est en aucun cas une prise de position pour l’un ou l’autre intervenant dans les guerres passées, présentes et à venir. À ce sujet, il faut éclairer un point: pour les chapitres qui rendent compte de l’opposition entre les blocs de l’Est et de l’Ouest, on constatera un déséquilibre quantitatif au détriment de l’Est. Cela n’est pas dû à une prise de position, même si rien ne l’interdirait, mais au nombre d’images disponibles qui correspondent à nos critères: « Encore qu’il soit inconvenant de parler d’esthétique au sujet de la guerre, les organisateurs assument le fait qu’un des critères principaux de leur sélection est la qualité esthétique des images ». Quoiqu’il en soit, l’image parle de l’histoire avec ses raccourcis, ses angles de vue étroits et ses vérités tronquées, mais puisqu’on accorde à l’historien le droit de choisir sa perspective, il serait vain d’en refuser le droit à l’image. Ah, j’oubliais: l’Ukraine est le seul pays au monde et dans l’histoire à avoir accepté le désarmement atomique contre une promesse de non-agression!

Michel Michiels

Gus Bofa, France, Bon pour le service, 1916

« La guerre est une chose trop grave pour la confier à des militaires… »

…affirmait Georges Clemenceau en 1887. Mais, comme tout aphorisme, l’inverse est tout aussi vrai, par exemple la politique serait une chose trop grave pour la confier aux politiciens. On ose pas penser ce que cela donnerait si la formule était appliqué au corps médical, aux enseignants ou aux boulangers. Si tout devient possible, et même son contraire, pourquoi ne pas confier la conduite de la guerre et de la politique aux saltimbanques, a priori les moins qualifiés pour mener ce genre d’entreprise? L’idée semble farfelue, néanmoins l’Histoire montre qu’il n’en est rien. Pour ne s’arrêter qu’à la période moderne, on sait que si Adolf Hitler a été contrarié dans sa vocation précoce d’artiste peintre, sa vengeance artistique atteintdra des sommets dans les mises en scène de théâtre total par lesquelles des milliers de figurants — le peuple allemand — furent hypnotisés jusqu’à la mort.

Abram Games, United Kingdom, 1941

On sait que Winston Churchill était un peintre amateur de belle qualité, mais on sait moins sa passion pour le théâtre depuis l’enfance. Tout petit déjà, il monte sur les planches et s’amuse longuement avec un théâtre-jouet où il n’imagine pas que des scénarios guerriers, comme l’indique l’humour de ses répliques dignes des plus grands auteurs. C’est en 1898 que H. G. Wells publie la fiction La Guerre des mondes, et en 1938 que Orson Welles en réalise la dramatisation qui tire le meilleur parti du médium radiophonique. Féru de l’efficacité issue des émotions, Churchill s’en souviendra. Le Général de Gaulle aussi, qui comprend immédiatement l’importance de la radio, puis de la télévision naissante. Ses interventions mobilisent des millions de personnes, fascinée par ce one man show exceptionnel.

Auteur inconu, France, 1950

Ronald Reagan est certes un acteur de série B, mais sa pratique du cinéma le rend conscient du poids des images et du choc des mots. La guerre ne serait que du cinéma, où le bon paré de toutes les vertus triomphe toujours du méchant, que Reagan nomme « L’empire du Mal » — excellent intitulé de film par ailleurs. Il fera plier la toute puissante URSS. Devenu l’homme le plus puissant du monde puisque président des États-Unis, Reagan emprunte au cinéaste George Lucas le titre La Guerre des étoiles.

Pavel Kuczynski, Pologne, 2022

Bien avant de devenir Pape sous le nom de Jean-Paul II, et de participer à la chute de l’empire communiste, le jeune Polonais Karol Wojtyla mène à bien des études littéraires à l’université de Cracovie. Il y crée nombre de poèmes, des livres et quelques pièces de théâtre. Sa passion pour le théâtre est telle qu’il songe un temps à embrasser une carrière d’acteur, défiant la mort promise par les autorités nazies en animant une troupe clandestine au cours de la Seconde Guerre mondiale. Pendant 27 années, il sera la vedette du meilleur théâtre au monde depuis des siècles: le Vatican.

Johan De Moor, Belgique, Satyricon, 2022

Aujourd’hui, Volodymyr Zelensky est le président de l’Ukraine, qui se révèle être un chef de guerre aux qualités insoupçonnées. Rien ne prédisposait pourtant cet humoriste populaire à assumer ces fonctions. Le fait d’être à la fois scénariste, acteur, réalisateur, producteur de télévision, c’est-à-dire de faire partie d’une équipe et d’une chaîne de production a-t-elle été une bonne école? Comme le fait d’avoir fait ses classes dans une troupe de café-théâtre? Comme l’utilisation massive des réseaux sociaux? La capacité de savoir s’entourer? Le hasard a aussi joué son rôle, puisque l’acteur se fait connaître quelques années avant les élections, en interprétant le rôle d’un enseignant, intègre, proche des gens, qui lutte contre les privilèges des élites corrompues, et qui devient président de la république. Rien de tout cela n’avait été prévu dans les événements réels qui ont suivi. Ceci répond-t-il à la question de savoir si la guerre est une affaire trop grave pour la confier à des militaires? Probablement pas, mais les faits montrent que même des comédiens, quand la situation l’exige et que l’environnement est favorable, peuvent égaler les meilleurs stratèges, militaires ou hommes politiques.

Vincent Baudoux

Jean-Louis Lejeune, illustration pour la couverture du catalogue de l’exposition WAR, 2023

WAR
La Maison de l’Image / Seed Factory
avenue des Volontaires 19 (métro Pétillon)
1160 Bruxelles-Auderghem
Du 13.10 au 23.12.2023
Du lundi au vendredi de 9 à 18 heures
Fermé samedi et dimanche ainsi que les jours de congés légaux
Entrée gratuite
https://www.seedfactory.be/maison-de-limage/

vernissage le jeudi 12 octobre à partir de 19h, un exemplaire du catalogue de l’exposition sera offert gratuitement aux personnes présentes

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5 réponses à “Adieu les Bisounours, et bienvenue dans Jurassic Park”

  1. Excellente réflexion sur un thème que nous avons déjà imaginé en mai dernier. Je serais donc le dernier à en contester la pertinence. Il rejoint aussi ce que dit avec justesse et talent Alain Bauer. Les doits de l’homme sont en fait une illusion fantasmagorique tirée des … Evangiles, mais oui! Il suffit d’en relire les paraboles les plus inspirantes…mais pas pour tout le monde car si peu concrétisées sur le terrain. « Aimez-vous les uns les autres » est une belle envolée poétique mais candide car c’est celle d’un oiseau sans ailes qui se crashe aussitôt, ce que démontre toute l’Histoire de l’humanité ( y compris celle de l’Eglise!) depuis vingt siècles et bien sûr déjà bien avant. Ce ne sont ni la générosité ni la bonté qui dirigent le monde mais la cupidité et la stupidité. Il manque juste à ce papier une référence à Vaclav Havel, homme de théâtre aussi qui a réussi a transformer son pays en démocratie structurelle, un petit miracle! A savoir la Tchéquie, et non la Slovaquie, devenue poutinesque. Une exception donc confirmant la règle. En conclusion, il faut se référer à ce constat de Romain Gary :  » L’inhumain est humain. »

    • Hello Xavier, Alain Bauer est — à mon avis — le plus fin analyste de la situation actuelle en ce qui concerne l’Ukraine et la Russie. Il en conclut que tant que l’on ne bloque pas Poutine, il continuera. L’indépendance des l’Ukraine, Crimée comprise était garantie par… la Russie, à condition que l’Ukraine rende ses armes nucléaires à la Russie. On a vu ce qu’il en est advenu. Mais cette indépendance était aussi garantie par les USA et la Grande-Bretagne, lesquels n’ont pas bronché quand la Russie a envahi la Crimée.
      Vaclav Havel, oui, c’est vrai, j’aurais du l’évoquer. Sorry pour lui, et son action magnifique.

    • Oui, l’état de guerre est revenu à la normale c’est-à-dire violent et quotidien. L’assimilation de l’Occident aux Bizounours est une métaphore d’Alain Bauer, qui estime que l’Occident s’est comporté ainsi depuis cinquante ans. Nous sommes en train d’en payer le prix, et ce n’est qu’un début. Cela étant dit, il faut reconnaître que l’idéologie néo-libérale est violente pour qui n’en tire pas profit, et que ce modèle qui saccage la planète a sans doute fait son temps. Mais les actuels modèles candidats à son remplacement semblent pire et plus cruels encore. Les lendemains radieux ne semblent pas pour bientôt !

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