Animaleries, hommages à Josse Goffin 


Une carte blanche signée Michel Oleffe

Dans l’oubli

Josse Goffin, Dans l’oubli, 2010 © Josse Goffin

Le jardin n’a pas d’issue. Pour une raison obscure, les accès ont été condamnés. Une vie étrange s’y est installée, sans direction ni ordre. Une maigre faune l’habite, à l’abri des humains, sous un ciel avare, au fond d’un puits aux murs aveugles.

Reflet

Josse Goffin, Reflet, 2010 © Josse Goffin

Les miroirs sont des faux-culs. Ils nous font croire qu’ils cachent quelque chose sous leur tain. Il n’en est rien; c’est de la mauvaise eau. Quoiqu’ils assurent volontiers qu’ils réfléchissent. Encore un mensonge!

Les caves sont des endroits malsains. On ne s’y aventure jamais sans crainte car il y fait noir et humide. Il faut donc une bonne raison pour y descendre: chercher du bois pour le feu, dégoter une bouteille d’exception, remonter quelque objet de peu d’usage. Il est toutefois prudent de s’éclairer.

Roucoulement

Josse Goffin, Roucoulement, 2010 © Josse Goffin

Il est des situations improbables. On fait confiance aux colombins, car ils sont bêtes et reviennent toujours à leur point de départ. Surtout s’ils sont remontés! Les ecclésiastiques, par contre, ne pensent qu’à copuler. Que voulez-vous faire de gens pareils?

Une carte blanche signée Vincent Baudoux

Outre Josse Goffin, présent avec une vingtaine de linogrammes auxquels il tenait beaucoup, trois parmi les illustrateurs contemporains qu’il préférait lui rendent hommage.

David Merveille

David Merveille, Pingouin seul, 2025 © David Merveille

C’est l’hiver à Bruxelles, il neige et au loin les passants se font rares, minuscules ombres noires se hâtant aux pieds de l’ancienne Maison de la Radio, place Flagey. En accord avec le sujet décrit, le climat visuel de cette image goûte la crème glacée, à commencer par les couleurs blanc-gris glissant vers le moka ou le caramel au beurre salé, avec des matières et textures graphiques polies et glissantes comme la glace d’un miroir. Sur l’étang gelé, un pingouin patine. Il improvise des ronds avec une aisance remarquable: serait-il un de ces animaux savants échappé du cirque qui établit ses quartiers sur la place chaque année, comme le veut la tradition? Souhaitant une image hors du temps, David Merveille ne le précise pas, ajoutant au mystère tant la scène semble normale et l’animal aussi imperturbable que Jacques Tati. Sans le moindre spectateur pour l’applaudir, l’animal se livre ici à un plaisir solitaire. Voici une image que nulle chaleur émotionnelle ne réchauffe, claire, sans heurt, sans ambiguïté. Mais une image pince-sans-rire, car on devine le sourire imperceptible de l’illustrateur seul face au dessin virtuose qu’il termine sur sa table de travail.

David Merveille, Corniches & Colibris, 2025 © David Merveille

David Merveille a aussi créé un leporello — dépliant en accordéon — spécialement pour cette exposition. Il regroupe six images d’oiseaux, thème cher à Josse Goffin. Chacun de ces volatiles s’associe à un bâtiment connu des Bruxellois, dont les Marolles, l’ancien garage Citroën et l’immeuble de la CBR, etc. Chaque oiseau se lie d’une façon ou d’une autre à son bâtiment, comme par exemple la grue au bord du canal, ou le martin-pêcheur que l’on trouve aux étangs de Boitsfort. Le dessinateur résout la question de l’écart de taille entre le bâtiment et l’oiseau en s’inspirant des monstres terrifiant les villes que le cinéma adore… à la différence qu’ici l’animal serait plutôt sympathique, à l’image du pinson nourrissant sa nichée. Une touche écologique est ainsi associée à l’image de la ville, suggérant qu’à Bruxelles, surréaliste, rien n’est impossible.

Pascal Lemaître

Pascal Lemaître, sans titre, 2012 © Pascal Lemaître

Dans la nature, les éléphants dorment debout, prenant appui contre un arbre. Jamais plus de deux heures, afin de rester aux aguets et réagir au plus vite lorsqu’un prédateur se manifeste, enhardi par l’immobilité du mastodonte. Mais jamais on n’a vu un de ces géants se reposer assis… comme le font les humains. Si la plupart des pachydermes vivent en hardes, les mâles en âge de se reproduire vivent en solitaire. Le dessinateur le montre sans défenses: vivrait-il dans un environnement à ce point paradisiaque, comme un havre de paix au cœur de la vie sauvage régie par la loi de ‘manger ou être mangé’? Un détail saute aux yeux: deux squelettes humains écrasés, imprimés dans les plantes de pieds de l’animal.

Voilà qui est absurde, sauf à considérer qu’il s’agirait d’Adam et Ève au Paradis terrestre, ce que prouverait le serpent tentateur écrasé sous le fessier du grand mammifère. Pascal Lemaître rejoindrait-il l’écrivaine contemporaine Ann Druyan qui voit un Éden loin d’être idyllique? Elle écrit: ‘Il est déconcertant qu’Éden soit synonyme de paradis alors que, si l’on y pense, c’est plutôt une prison à haute sécurité et une surveillance 24 heures sur 24. C’est un endroit horrible. Adam et Ève n’ont pas d’enfance. Ils s’éveillent adultes… Ils n’ont jamais eu de mère… Leur père est une voix terrifiante, désincarnée, qui est furieuse avec eux dès l’instant de leur premier éveil.’ ‘Si le nez de Cléopâtre eût été plus court, toute la face du monde aurait changé’, écrivait Blaise Pascal dans ses Pensées. Pascal Lemaître propose un tout autre scénario de la Genèse.

Philippe Geluck

Philippe Geluck, Ziebster Kelnen, 1978 © Philippe Geluck

Parmi les propositions de Philippe Geluck, une aquarelle ancienne retient l’attention. Datant de 1978, jamais encore elle n’a été exposée, et le titre Ziebster Kelnen ne signifie rien dans aucune langue! Par contre, elle représente un jockey cravachant son cheval, sauf qu’à bien y regarder ce cheval serait bipède… et porte des cornes. Il s’agit donc à la fois d’un centaure et d’un minotaure. Comment s’y retrouver, d’autant que les quatre yeux sans pupilles de la créature se réduisent à des surfaces bleues qui pourraient être artificielles? Ces yeux sont-ils aveugles ou des machines aux pouvoirs aussi inconnus que terrifiants? On n’en saura pas davantage, mais quoi qu’il en soit on ne peut ignorer la violence d’une telle image avec les deux visages sans la moindre émotion, et qui semblent même tirer la gueule. On le voit, l’art de Philippe Geluck ne manque pas de manier les paradoxes, le moindre n’étant pas l’écriture graphique du tracé qui affleure à peine le support en papier, et des couleurs légères et tout en nuances, vaporeuses presque: cette délicatesse contredit le contenu symbolique du centaure et du minotaure qui fait s’affronter les états civilisé et sauvage cohabitant en tout être humain.

Philippe Geluck, La plume du chat, 1979 © Philippe Geluck

L’année suivante, en 1979, Philippe Geluck dessine La plume du chat (sans majuscule, elle ne viendra qu’en 1983). L’image propose un autre hybride, un buste de chat masqué du gros nez et des traits d’un vieillard. Malgré le costume et cravate, les vibrisses du félin devenu homme pointent encore: elles disparaîtront quelques années plus tard. Si le chat voit, entend, hume, touche et détecte le mouvement de son environnement proche, il reste muet. C’est pourquoi l’auteur dessine une plume au bas de l’image, à la fois pour masquer le contraste entre le prédateur friand d’oiseaux et ses proies, mais aussi pour permettre à l’écriture manuscrite, donc à la parole du phylactère, de s’inscrire au sein des images à venir. Le Chat, né quatre années plus tard, ne s’en privera pas.

Animaleries, hommages à Josse Goffin
Galerie Quadri
Av. Reine Marie Henriette, 105 — 1190 Bruxelles
Du 15.01 au 15.02.2025
Les vendredis et samedis de 14 à 18h
ou sur rendez-vous (02 640 95 63)
www.galeriequadri.com

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