Charlie Hebdo à Bruges, le quatre janvier 2025


Une carte blanche signée Paul de Groeve

Le samedi quatre janvier 2025, à 20 heures, au Comedy Club Wolinski (what’s in a name?) de Bruges, des cartoonistes, des dessinateurs, des illustrateurs, des poètes, des écrivains, des photographes et des amateurs de cartoons et d’humour se sont réunis pour assister à l’avant-première du documentaire 10 ans #jesuischarlie produit par VRT Canvas. Pour un instant, Bruges est le centre du monde du cartoon.

Le dessinateur Marec introduit la séance en remerciant le Press Cartoon Belgium et Annie Anthierens de leur présence. ‘Annie est l’épouse de Karel Anthierens, l’homme qui a beaucoup fait pour la bande dessinée belge, qui a donné au cartoon une place dans la presse au même titre qu’un éditorial et pas simplement une illustration attenante au texte, ce qui n’était pas le cas auparavant. Je suis très reconnaissant à Karel pour cela. Karel nous manque beaucoup, surtout par les temps qui courent.’ Ce sont ‘Ces temps-là’ qu’évoque le documentaire. Pendant la projection, à côté des rires réguliers perçus dans la salle, on constate des grimaces lorsque l’on réalise combien la liberté d’expression est en train de s’évaporer sous nos yeux…

Marec, Charlie for ever, 10 jaar #jesuischarlie, 2025 © Marec

Faut-il rappeler que le massacre commis chez Charlie Hebdo il y a 10 ans a ôté la vie à 12 personnes, dont des dessinateurs, des rédacteurs, des policiers, un économiste, une psychiatre et un correcteur d’épreuves? On a cru alors que le dessin de presse et l’ensemble des cartoonistes du monde entier mouraient avec eux. Dans ce documentaire, nous entendons les cartoonistes néerlandophones Gal, Kamagurka, Lectrr et Marec raconter comment ils ont vécu cette période et quelles en sont les conséquences aujourd’hui pour tous les dessinateurs, pour tous les journalistes critiques et pour tous les citoyens du monde entier. Dix ans plus tard, la société a changé ainsi que la profession de caricaturiste politique. Les documentaristes Isabel Junius et Pieter Verbiest de VRT Canvas ont interrogé les caricaturistes susmentionnés et quelques voix internationales sur le rôle des caricaturistes aujourd’hui, et sur la pression qu’ils ressentent encore aujourd’hui dans l’exercice de leur métier. Dans quelle mesure peuvent-ils s’exprimer librement? Et qu’en est-il de la censure et de la liberté d’expression? Les caricaturistes s’autocensurent-ils? ‘Non, mais ils ne provoquent pas inutilement’ a déclaré Isabel Junius dans Humo. ‘Kamagurka continue de critiquer Trump, et Lectrr la Chine, la situation à Gaza… même s’ils reçoivent des menaces pour cela’. Car en effet, certains dessinateurs belges — comme Lectrrr, entre autres — reçoivent des menaces de mort, et doivent jouir d’une protection spéciale. En une minute et 19 secondes, le monde a changé du tout au tout. Plus rien n’est pareil. Les caricaturistes s’unissent et des manuels sont créés quant à la manière de gérer les courriers haineux et les menaces de mort.

Lectrr, Tiens, au plus je lui taille la tête… au plus pointu il devient , 2015 © Lectrr

Cet excellent documentaire ne se limite pas aux événements qui se sont déroulés à Charlie Hebdo il y a dix ans. Il met également en lumière les années qui ont suivi, l’évolution de la liberté de la presse et le fonctionnement des mécanismes qui la menacent. Ce qui était considéré comme acquis ne l’est plus. Les poursuites judiciaires à l’encontre de acteurs journalistiques ou de journalistes indépendants sont de plus en plus fréquentes. En Hongrie, par exemple, les oligarques amis d’Orban prennent le contrôle de sociétés de médias. Quatre-vingts pour cent des médias hongrois ne sont plus indépendants, bien qu’aucun journaliste ne soit en prison. C’est un moyen très astucieux d’intimider ou de réduire au silence les journalistes et les caricaturistes. Cela se passe aujourd’hui à un peu plus d’un millier de kilomètres de chez nous : autant dire à notre porte.

Isabel Junius conclut: ‘Notre documentaire 10 ans #jesuischarlie est aussi une ode au travail de nos dessinateurs. Le dessinateur maison de Knack.be, Gal, par exemple, est unique. Cette année, cela fait 65 ans qu’il travaille, contre 40 ans pour des gens comme Kamagurka et Marec dans leurs publications respectives. Et nous n’avons pas encore parlé des dessinateurs wallons. Car notre pays dans son ensemble regorge d’une quantité incroyable de talents dans ce domaine. On l’oublie parfois.’

Merci à Marec, Gal, Lectrr, Marloes De Cloedt, Comedy Club Wolinski, Canvas, Isabel Junius et Pieter Verbiest.

Marec, Ceci n’est pas un prophète, 2006 © Marec

Une réponse à “Charlie Hebdo à Bruges, le quatre janvier 2025”

  1. La liberté et l’indépendance d’esprit ne sont plus aussi prégnants, donc le risque que la simple critique passe pour une « agression » est toujours plus fort, et surtout aggravé par la violence du wokisme paranoïaque qui aggrave aussi ce qu’il voulait condamner. Plus tragique encore: c’est l’idée même de la démocratie qui est en recul au profit d’un individualisme agressif et frileux à la fois, paranoïaque, enforcé par les réseaux sociopathes. La météo sociale est sur « avis de tempête ». Lire à cet égard le livre de Jean-François Revel :  » Comment les démocraties finissent ». Mais plus personne ne sait qui il était. De même pour George Orwell qui écrivit « 1984 » en 1958, dans l’euphorie de l’après-guerre mondiale, un avertissement majeur, mais jamais écouté. Et pourtant..  » Le ventre de la bête est toujours fécond ». Je dirais même : plus que jamais!

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