De Corentin Feldoë à Paul Cuvelier


Le centenaire de la naissance de Paul Cuvelier en 1923 se décline en trois événements: deux expositions et la publication d’un livre.

Paul Cuvelier, Corentin, étude préparatoire pour L’Extraordinaire Odyssée, tome 2 © Fondation Paul Cuvelier

— 1 — La première exposition se tient à Mons, région natale de l’auteur de Les extraordinaires aventures de Corentin Feldoë, parues dans le Journal Tintin dès 1946. La Fondation Paul Cuvelier a sélectionné nombre de planches originales et de travaux préparatoires aux sept albums de Corentin réalisés entre 1946 et 1973, ainsi qu’un aperçu des nombreuses recherches graphiques menées en parallèle. C’est le personnage de Corentin, adolescent, qui a permis à son créateur de sortir de l’anonymat. Les lectrices et lecteurs furent d’emblée conquis par l’intense sensualité, inhérente au trait exigeant de Paul Cuvelier, ainsi que par sa fascination pour la beauté des corps humains et animaux, relevant d’une démarche novatrice à son époque.

Paul Cuvelier, Corentin, étude préparatoire pour L’Extraordinaire Odyssée, tome 1 © Fondation Paul Cuvelier

Moloch, Belzébuth, à moi !
Du 25 novembre 2023 au 18 février 2024
Salle Saint-Georges
Grand-Place, 7000 Mons
Du mardi au vendredi de 12h à 18h
Samedi et dimanche de 14 h à 20h
Fermé les lundis.
http://www.paulcuvelier.org
https://www.visitmons.be/agenda/expositions/moloch-belzebuth-a-moi-4030547

— 2 — La seconde exposition devrait être plus fournie, et se tiendra l’an prochain à Bruxelles, chez Seed Factory/La Maison de l’image. Lucterios y reviendra plus longuement en temps voulu.

— 3 — Le Mystère Paul Cuvelier, de Philippe Goddin et Martine Mergeay

Paul Cuvelier fait preuve dès l’enfance d’un talent graphique éblouissant. Ce qui lui vaut d’être inclus en 1945 — à vingt-trois ans à peine — dans l’équipe qui, sous l’égide d’Hergé, va créer le Journal Tintin. Pourtant, en dépit de l’admiration sans borne de ses pairs et du succès immédiat des Aventures de Corentin, sa trajectoire d’homme autant que d’artiste est marquée par le doute et l’errance. Sa correspondance apporte sur ce «mystère» un éclairage précieux et inédit. En découvrant les lettres qu’il adressa au grand amour de sa vie, Ta Huynh-Yen, on peut suivre pas à pas les étapes d’un parcours hors normes, entre le conte de fée et la descente en enfer, et découvrir un versant inconnu et fascinant de la personnalité de Paul Cuvelier. Outre un talent littéraire à la hauteur de celui du dessinateur, on est bouleversé de découvrir les méandres contradictoires d’un homme éperdu d’amour, cherchant désespérément à rassembler les pièces d’un puzzle imaginaire.

Paul Cuvelier, portrait de Ta Huynh-Yen, non daté, collection particulière © Fondation Paul Cuvelier 

Philippe Goddin précise ici la portée de son ouvrage: «De Cuvelier à Hergé et de Hergé à Cuvelier: une façon de boucler la boucle, ma boucle, puisque les quelques années que j’ai consacrées à Paul Cuvelier et à sa production débouchèrent finalement sur près de quatre décennies exclusivement consacrées Hergé et à son œuvre. Paul Cuvelier (1923-1978) dont, justement, le talent avait subjugué Hergé lors de leur première rencontre en 1945, avait enchanté d’emblée les lecteurs de l’hebdomadaire Tintin avec le personnage de Corentin Feldoë. C’est à Paul que je dois une part de mon intérêt pour Hergé. J’avais fait sa connaissance en 1973, alors qu’ayant renoncé à la bande dessinée il poursuivait la quête artistique qu’il avait toujours menée en parallèle. Je le voyais comme un dessinateur sublime dont l’imaginaire puissant avait le don de m’émouvoir… alors que mon admiration pour Hergé ne s’appuyait encore principalement que sur le rayonnement international de Tintin. Je ne me serais sans doute pas penché avec autant d’acuité sur le dessin d’Hergé si, un jour, Paul, à qui je déclarais mon admiration pour son trait, ne m’avait arrêté net en m’invitant à scruter avec plus d’attention celui d’Hergé. «Hergé, c’est mon Maître», me déclara-t-il. Venant de lui, la remarque me fit forte impression.

La mort de Paul, en 1978, me donna trois ans plus tard l’occasion de publier Paul Cuvelier – L’Aventure Artistique aux éditions Magic-Strip. Enrichi d’une préface d’Hergé, Corentin et les Chemins du Merveilleux inaugura en 1984 la collection Nos Auteurs aux éditions du Lombard. Dans l’intervalle, j’avais organisé plusieurs expositions dédiées au dessinateur, peintre et créateur de bandes dessinées qu’avait été Cuvelier. J’avais pris des contacts avec des personnes qui l’avaient fréquenté ou qui possédaient de ses œuvres. Mais au bout de quelques années, découragé par l’ampleur de la tâche et par le manque de soutien, j’ai préféré refermer le tiroir Cuvelier.

Paul Cuvelier, lettre de Paul Cuvelier à Ta Huynh-Yen, 1956 © tous droits réservés

Au cours de cette période, une personne m’avait pourtant apporté son concours sans réserve: Ta Huynh-Yen (1931-2004), que la famille Cuvelier m’avait décrite comme «une Vietnamienne qui fut le grand amour de Paul». Elle sortait de l’adolescence lorsque son chemin croisa celui de Paul, qui avait alors vingt-cinq ans. Cherchant des citations de l’artiste pour étayer l’ouvrage que je préparais, je lui avais écrit en septembre 1982. Sa réponse alla au-delà de mes espérances. Sans le savoir, je lui donnai ce jour-là — quatre ans après la mort de Paul — l’occasion de se pencher sur la paradoxale relation qu’ils avaient cultivée presque trente ans durant. Lorsqu’elle me communiqua quelques jours plus tard le recueil Notes pour l’Indigne qu’elle avait composé en procédant au remontage de lettres ou de fragments des lettres que Paul lui avait adressées, je fus subjugué par le talent épistolaire de Paul, que je découvrais à la mesure de son talent artistique. Je le fus tout autant par la clarté de son expression et par son extraordinaire lucidité. En l’absence des lettres adressées par Ta Huynh-Yen à Paul (qu’elle avait pris soin de faire disparaître lors de certaines de leurs rencontres), je ne pouvais encore mesurer les enjeux de ces amours hors-normes. Heureusement elle m’avait aussi confié une très longue lettre adressée au frère aîné de Paul, Raphaël, où elle tentait d’expliquer l’inexplicable à la famille. Un document exceptionnel dont de larges extraits sont reproduits en épilogue du présent volume. Le courrier abondant que nous allions ensuite échanger me confirma que durant toutes ces années jalonnées d’une alternance d’élans et de mouvements de repli, Ta Huynh-Yen se situait au niveau de son confident.

Paul Cuvelier, croquis de Ta Huynh-Yen, 1956 © tous droits réservés 

Il m’aura donc fallu laisser passer une bonne trentaine d’années sans plus guère m’intéresser à l’œuvre de Paul avant que Martine Mergeay qui, comme moi, avait été touchée naguère par le personnage de Corentin, me fasse observer que les documents et l’information que je détenais sur son auteur me faisaient dépositaire d’un témoignage exceptionnel. Et que par conséquent je me devais d’œuvrer à sa transmission, ne fut-ce qu’en hommage à cet artiste qui, en son temps, m’avait honoré de sa confiance et de son amitié. C’est ce que Martine et moi avons décidé de faire, alors même que des liens se nouaient par ailleurs avec la Fondation Paul Cuvelier.

Il s’imposait de revenir aux lettres authentiques, heureusement conservées pour la plupart. Maya et Shakti Serrulla, les filles de Ta Huynh-Yen, auront été à cet égard notre premier soutien, en nous y donnant accès. Grâce à leur confiance, le présent ouvrage résulte principalement de la transcription fidèle d’une sélection opérée dans près de six cents feuillets manuscrits de Paul.

Quant au prologue de cet ouvrage, principalement composé d’échanges de courrier entre Hergé et Paul, il montre qu’au moment où Ta Huynh-Yen apparaît dans sa vie, en 1948, c’est déjà un artiste reconnu, qui a publié dans le Journal Tintin les deux premiers épisodes des Aventures de Corentin et y poursuit celles de Corentin chez les Peaux-Rouges. Soutenu par le témoignage exceptionnel de Paul Cuvelier lui-même, c’est donc l’ensemble de sa création qui est éclairé ici, tant ses bandes dessinées que ses œuvres d’«art pur». C’est peut-être la meilleure façon d’approcher au plus près «le Mystère Paul Cuvelier».

Paul Cuvelier, extrait du cahier d’aquarelles présenté à Hergé, 1943 © Fondation Paul Cuvelier 

Le Mystère Paul Cuvelier — Un artiste sans concession révélé par sa correspondance
Philippe Goddin et Martine Mergeay
Les Impressions Nouvelles
ISBN 978-2-39070-074-6
616 pages illustrées, 29€
Disponible dès septembre 2023
https://lesimpressionsnouvelles.com/catalogue/le-mystere-paul-cuvelier/

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