Frédéric duBus et Marec, deux images de clôture


Jean-Jacques Sempé et Elizabeth II nous ont quittés en 2022. Les hommages dessinés dans la presse ont été innombrables, et souvent de qualité. Lucterios revient sur deux dessins différents dans leur manière d’aborder le sujet du deuil.

Frédéric duBus, Le Soir Mag du 17.08.2022

© Frédéric duBusLe Soir Mag, 17.08.2022 

Frédéric duBus joue la carte du pastiche. Voici une image qui, à première vue, aurait pu avoir été dessinée par Sempé lui-même. L’imitation est parfaite, et cette re-création aurait pu être publiée dans le recueil Âmes soeurs de 1991, tant elle ressemble comme deux gouttes d’eau aux publications qui s’y trouvent. Tout Sempé s’y incarne: le climat général, la mise en scène soignée jusqu’aux moindres détails du dessin, par exemple la manière de rendre le feuillage de l’arbre, les pavés, l’importance des zones claires, le trait de dessin maigre et tremblotant perçu comme étant réalisé à la va-vite. Même les rehauts d’aquarelle sont mimés à la perfection. Les contenus ne sont pas en reste, Frédéric duBus ayant parfaitement capté ces mille et un détails qui peuplent le monde de Sempé, comme cette évocation d’un bistrot de quartier, quelques éléments qui crédibilisent tels des accessoires banals comme une poubelle, des trottinettes, l’anonymat des passants, des voitures intemporelles, des architectures à taille humaine dominées par une tour, et la grisaille de l’automne.

Frédéric duBus agrémente cette quiétude bien provinciale d’un commentaire piquant, qui résume bien l’oeuvre de Sempé: un pauvre type s’illusionne tout haut d’une condition qui n’est pas la sienne. Ce texte, amusant et pathétique, pourrait avoir été rédigé par Sempé lui-même, tant il mélange sans le moindre discernement les choses réellement importantes aux futilités les plus volatiles. Enfin, quelques détails peu visibles s’offrent à celui qui aime les images et les savoure longuement, sans se presser. Le petit Nicolas sourit par la vitre arrière de la voiture, le bistrot s’appelle Chez Jean-Jacques, et dans l’ombre du comptoir on devine un Sempé heureux. Clin d’œil oblige, sur le mur, près de l’entrée, le dessinateur fait négligemment de la réclame pour la publication qui l’édite. En rendant cet hommage, Frédéric duBus a réussi à se glisser un moment dans la peau de Sempé. Cette prouesse d’acteur graphique et d’écrivain est digne d’être applaudie.

Marec, Het Nieuwsblad, 10.09.2022

© Marec, , Het Nieuwsblad, 10.09.2022 

L’astuce de Marec, l’auteur de ce dessin par lequel il a rendu hommage à la reine Elizabeth II du Royaume-Uni et du Commonwealth, est d’utiliser l’image de la souveraine telle qu’elle est apparue pendant plus de 70 ans sur les timbres-poste circulant partout dans le monde. Cette image reproduite à des millions d’exemplaires au quotidien a été vue par autant de personnes, partout sur la planète. On peut donc dire sans se tromper que cette effigie est devenue un visuel aussi efficace que le logo des marques multinationales: on pense à Coca-Cola ou à Facebook. Un logo tellement intégré aux habitudes visuelles qu’on ne le voit plus. Le portrait devient affiche, en grand format si on la compare à la taille humaine du futur Charles III, en retrait, qui nous fixe dans les yeux. Le timbre géant devenant une icône, un contour suffit, sans besoin d’en préciser les détails. Le contraste du noir et du blanc s’impose, aussi clairement que la vie s’oppose à la mort. Et, comme l’exige le recueillement, Marec n’a agrémenté son image d’aucun commentaire, d’aucun bruit, d’aucun son: rien que le silence du respect.

Marec dessine un poster d’où le temps semble absent, s’il n’y avait la présence du déjà vieux prince héritier. « Le roi est mort, vive le roi !» proclame la tradition instaurée depuis le décès d’Henry II en 1272 en Angleterre, afin que le pays ne reste jamais sans monarque. En contraste à l’image désormais immuable et désincarnée de sa mère, son fils et successeur Charles apparaît la mine défaite, vêtu de deuil, mais bien vivant comme l’indiquent ses joues rosissantes. C’est désormais à lui de grandir, de régner, et d’atteindre le statut d’être quasi inhumain, et inaltérable, que Elizabeth II s’est forgée pour l’Histoire.


3 réponses à “Frédéric duBus et Marec, deux images de clôture”

  1. Tout à fait d’accord accord.Les deux dessins sont parfaits! Dubus a saisi la quintessence de l’oeuvre de Sempé et Marec nous met face à deux personnages en surimpression! Un album posthume en hommage à Sempé par Dubus serait accueilli avec ravissement!

  2. Ces deux dessinateurs ont réussi, comme si souvent, à incarner, tant sur la forme que sur le fond, ce constat rabâché mais plus pertinent que jamais: un bon dessin vaut bien plus que mille mots.
    Il dit tout sans bavardage et disgressions inutiles, sans chipotages narcissiques, sans explications idéologico-socio-politiques, sans blablas historiques, avec un talent qui englobe à la fois empathie, compréhension et complicité avec les lecteurs pris à témoins de ce qui soudain saute aux yeux de tous : la force, l’émotion, la vérité d’un moment historique précis qui s’incruste d’emblée dans nos mémoires.
    J’ai déjà écrit des centaines de chroniques, cartes blanches, opinions diverses, publiées au fil des ans. Je n’en ai pas honte, mais les échangerais toutes contre cette capacité de s’exprimer sur le champ, comme ils le font, par le trait, donc bien mieux que par le verbe car dans le mot caricature il y a surtout le caractère. L’art exprime tout d’emblée, à partir d’une pulsion, d’une intuition, d’une compréhension du monde en quelques gestes. Le style, c’est l’artiste. L’écriture a certes ses exigences, mais ce talent -là consiste finalement à louvoyer dans un labyrinthe mental sans être sûr de trouver la sortie. L’image juste, forte, sensible, est un coup de soleil mental, une illumination soudaine. Et le reste à côté n’est que logorrhée.

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