Frans Hals, le plaisir de peindre


Frans Hals, né à Anvers entre 1580 et 1583, et décédé en 1666 à Haarlem, est considéré avec Rembrandt et Vermeer de Delft comme étant un des trois géants de la peinture du Siècle d’or néerlandais au 17e siècle.

Frans Hals, Banquet des Officiers du corps des archers de Saint-Georges, 1616 © Frans Hals Museum, Haarlem 

Le peintre obtient son premier grand succès en 1616 avec le Banquet des officiers du corps des archers de Saint-Georges, milice civile à laquelle il a été admis quelques années auparavant, avec le statut de mousquetaire. Il peint une seconde version en 1627, et une troisième en 1639, avec entre-temps deux tableaux de la réunion annuelle d’autres compagnies paramilitaires. Outre ces tableaux qui prouvent son inclusion sociale et la reconnaissance de son talent, le peintre réalise un nombre élevé de portraits privés. Il exerce également des activités de restaurateur, de marchand d’art, de directeur d’atelier, de peintre à la mode, et d’expert pour les questions d’art auprès de la municipalité de Haarlem. Malgré l’aura que lui confèrent ces commandes, Frans Hals vit sa vieillesse dans le dénuement et finit ses jours à l’hospice public. Il en peint les régentes et les régents.

Ces scènes de banquet, peintes grandeur nature, diffèrent de l’ensemble de la production contemporaine en ce que le peintre introduit une dynamique dans les poses, les personnages étant pris sur le vif dans le brouhaha des agapes. Les modèles ne posent pas. Le peintre capte un instantané, comme la photographie seulement inventée quelques siècles plus tard: ici un personnage qui tourne la tête, là un autre devisant avec un collègue ou levant son verre. Une joyeuse pagaille traîne sur la table. L’ensemble de la composition est rythmé par les obliques des écharpes rouges et blanches, tandis que les obliques des étendards vont dans l’autre sens. Le plus étonnant, toutefois, en contraste avec la précision de la représentation des visages, est la manière dont le peintre figure le tissu de couleur cuivrée en haut à gauche. Étant ‘hors focale’ car en zone périphérique, Frans Hals le réalise à larges coups de brosses, des appuyés et des plus étroits, comme s’il s’agissait d’une ébauche.

Frans Hals, Banquet des Officiers du corps des archers de Saint-Georges, 1616, détail © Frans Hals Museum Haarlem

Frans Hals, Portrait de mariage d’Isaac Massa et Beatrix van der Laen, 1622 © Rijksmuseum, Amsterdam

Portrait de mariage d’Isaac Massa et Beatrix van der Laen, réalisé quelques années plus tard en 1622, montre bien les hésitations de l’artiste quant à la direction à prendre, ainsi que la volonté de montrer sa virtuosité. Il sait tout faire, le portrait aussi bien que les végétaux, les tissus, les nuages et le monde minéral, les monuments et la représentation de sculptures monochromes, les gros plans et les fuites de l’espace dans la profondeur, le tout dans la joie et la bonne humeur. Comment s’individualiser quand on sait tout faire? Où trouver la formule facilement reconnaissable en un clin d’œil, garantie du succès populaire et commercial?

Frans Hals, Joueur de luth, 1623 © Musée du Louvre, Paris

Il semblerait qu’avec le Joueur de luth proposé l’année qui suit, Frans Hals développe une façon de traiter la peinture à l’huile jamais vue encore à l’époque. Non seulement le joueur anonyme regarde ailleurs, hors cadre, mais son visage excentré prête le point focal du tableau à l’instrument de musique. Au centre, le cercle de la rosace retient l’attention, parce que, bien isolé, il permet au peintre d’y réaliser un morceau de bravoure: vue de loin, l’illusion représentative est parfaite, tandis que la vision proche n’y voit qu’un croisillon informel d’ordre et de désordre.

Frans Hals, Joueur de luth, détail, 1623 © Musée du Louvre, Paris

En se délectant du plaisir de peindre comme le musicien se régale de son instrument, Frans Hals a trouvé le fondement de son art, la question étant de trouver des sujets qui appellent cette manière de faire. À ce moment de l’histoire, les plumes d’autruche, article coûteux d’importation, sont fréquemment disposées sur les couvre-chefs de la noblesse et de la bourgeoisie afin de manifester le prestige social de ces personnes. C’est le prétexte qu’attendait l’artiste. Cet ornement constitué de rémiges présente des similitudes formelles avec un coup de pinceau manié avec dextérité. Le peintre ne le savait peut-être pas: nombre d’oiseaux utilisent leurs plumes pour produire des sons, et ainsi communiquer entre eux, ce qui les rapproche du monde sonore qu’apprécie tellement Frans Hals. Chaque espèce d’oiseau se caractérise par des rémiges de formes et de couleurs spécifiques, exactement comme le peintre différencie son geste selon les matières à représenter, qu’il s’agisse de plumes ou de cheveux par exemple.

Frans Hals, Jeune chanteur à la flûte, 1623 © Staatliche Museen, Berlin

Frans Hals, Jeune chanteur à la flûte, détail, 1623 © Staatliche Museen, Berlin

Certes, un portrait commandé par un particulier désireux d’arborer son image se doit avant tout de remplir l’exigence du commanditaire, et donc s’interdit une trop grande présence de la main du peintre. Le Cavalier souriant représente bien ce cas de figure. Le sujet, central, dominant, en légère contre-plongée, fixe l’artiste dans les yeux. Si Frans Hals étale son savoir-faire, méticuleux, dans les tissus reproduits dans le moindre des détails, on sent bien l’attirance du peintre pour les motifs qui permettent à sa main de manœuvrer plus librement, comme l’indiquent les pilosités de la moustache à la Dali et les ondulations de la chevelure, ou la fraise, et les dentelles qui ornent les poignets.

Frans Hals, Le Cavalier souriant, 1624 © The Wallace Collection, London

Dans l’ensemble de la production de Frans Hals, il est quelques tableaux qui sont ainsi des prouesses dans l’histoire de la représentation figurative, car l’image peinte se fabrique dans l’équilibre entre la précision documentaire et la liberté d’une facture qui ne songe qu’à jouer avec les pigments, à leur onctuosité, à leur réaction à la manière dont les pinceaux ou la brosse les impacte sur la toile. Pour le peintre, il s’agit de serrer le simulacre au plus près, tout en révélant les spécificités du médium qui l’incarne. Comment y parvenir, sinon par la suggestion qui donne du sens à ce qui n’est qu’un fouillis? Cette anticipation demande un métier et une connaissance exceptionnelle, fruit d’un long labeur. Mais, comme au cirque ou au music-hall, l’artiste tient à donner une impression de facilité, parce que son art est aussi de masquer la difficulté de l’exercice. Ceci explique peut-être le sourire caractéristique des portraits peints à la maturité de Frans Hals.

Frans Hals, Le Joyeux Buveur, 1629 © Rijksmuseum, Amsterdam
Frans Hals, Le Joyeux Buveur, détail, 1629 © Rijksmuseum, Amsterdam

Frans Hals garde la tradition du sujet individuel, singulier, central, vertical, qui souhaite la pérennité immobile de sa personne, exemplaire. Il reste ainsi profondément ancré dans son environnement culturel, gardant l’idée de représentation — ce qui deviendra l’apanage de la photographie — même si de légers mouvements animent ses modèles. Sans le savoir, l’art en marche du 17e siècle conduit à la peinture impressionniste qui efface la reproduction minutieuse d’un motif, afin de laisser apparaître les conditions de sa production matérielle. Vu ainsi, Frans Hals est réellement en avance sur son temps, comme son quasi contemporain Diego Vélasquez en Espagne.

Frans Hals, Malle Babbe, 1640 © Gemäldegalerie, Berlin

Frans Hals, Malle Babbe, détail, 1640 © Gemäldegalerie, Berlin

Frans Hals décède à 84 ans, ce qui est un âge avancé pour l’époque. L’artiste a ainsi pu constater que dans un monde qui change, les formules du succès lentement élaborées tournent au vinaigre pour qui est devenu un ‘has been’. Les Régentes de l’Oudemannenhuis — l’hospice pour les vieillards — où, indigent, il est admis les dernières années de sa vie, témoignent de ce changement. Si la virtuosité d’antan est toujours bien présente, l’image s’assombrit, les jeunes et fringants jeunes hommes pleins de vitalité de jadis ont laissé place à d’austères gestionnaires dans leurs habits sans la moindre fantaisie. Ces dames âgées et sévères n’esquissent pas le moindre sourire. Comme son succès, la joie de vivre, le plaisir et la vitalité qui caractérisaient la peinture de Frans Hals se sont évaporés dans sa vieillesse.

Frans Hals, Les Régentes de l’Oudemannenhuis, 1664 © Frans Hals Museum Haarlem

Frans Hals
Rijksmuseum
Museumstraat 1, Amsterdam
Du 16.02.2024 au 09.06.2024
Tous les jours de 9h à 17h
https://www.rijksmuseum.nl/fr/visitez/frans-hals

L’exposition s’est d’abord tenue à la National Gallery de Londres du 30.09.2023 au 21.01.2024. Elle se poursuivra à la Gemäldegalerie, Staatliche Museen de Berlin, du 12.07 au 03.11.2024

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5 réponses à “Frans Hals, le plaisir de peindre”

  1. Son style vif, enjoué, libéré des contraintes académiques trop rigides, parfois presque comique, et même proche de la caricature, nullement du genre « coincé » et attentif aux détails pittoresques me fait penser qu’il aurait été un très bon dessinateur de B.D. contemporaine !

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