Getekend in Vlaanderen in 2023


Une carte blanche signée Paul de Groeve
Copy director, webwriter, corporate storyteller
« Everybody has a story. Not everybody is a storyteller. »
paul@personalcopy.be

Où sont les femmes?

Où sont les femmes dessinatrices? Chaque année, depuis longtemps, je me pose cette question à la vue des cartoons soumis au Press Cartoon Award, qui recense les meilleurs cartoons de l’année écoulée un peu partout dans le monde. Si je consulte la liste complète des autrices et des auteurs qui publient en Belgique, et qui ont déjà été mentionnés sur www.presscartoon.com, les femmes atteignent à peine 10 pour cent! C’est peu. Et pourtant, 2023 a été l’année de la femme dessinatrice.

Couverture de Draw for Change, 2022 © éditions Lannoo

Il y a eu l’exposition, la série documentaire et le livre Draw for Change. Ici, les femmes ont occupé le devant de la scène. Pas n’importe quelles femmes, mais des dessinatrices qui, par leur travail, flanquent de rudes coups de pied dans les tibias et font des crocs-en-jambe à la bien-pensance: Victoria Lomasko vient de Russie; Amany Al-Ali est issue de Syrie, Doaa El-Adl d’Égypte. Rachita Taneja nous vient d’Inde, Mar Maremoto du Mexique et Ann Telnaes des États-Unis. Chacune d’elle dénonce la misogynie, l’autoritarisme et l’homophobie de leur propre pays, et vont un pas plus loin quand elles exposent les angles morts de notre pensée. Pour reprendre Ann Telnaes, caricaturiste au Washington Post: « Cartoon est un mot un peu fou, mais c’est un sujet sérieux, parce que les cartoonistes sont dans la ligne de mire lorsque la liberté de la presse et la démocratie sont menacées ». Le fait que les cartoonistes ne soient pas épargnés, même aux États-Unis, est apparu clairement lorsque The New York Times a cessé de publier des cartoons à partir de juin 2019. Cette décision fait suite à la controverse suscitée par un cartoon dans lequel un Trump aveugle est guidé par le chien d’aveugle Netanyahou, porteur d’une étoile de David. Lorsqu’un journal de premier plan prend une telle décision, il envoie un signal important.

Doaa El-Adl © l’auteure et les éditions Lannoo

Durant l’été et l’automne 2024, on verra des docu-séries, et des expositions un peu partout en Belgique, notamment au Cartoon Festival de Knokke-Heist et au Centre Belge de la Bande Dessinée de Bruxelles. Par la qualité de leurs images, leur impact, la pertinence et la concision de l’information réunies dans leurs vignettes, ces dessinatrices prouvent qu’un cartoon peut être plus percutant qu’un article académique. Car dans ce monde où les autocrates masculins consolident leur pouvoir, et où le populisme piloté par des algorithmes se développe, le cartoon devient un outil essentiel pour une pensée non-consensuelle, qui n’est pas pré-formatée, et qui tient à le faire savoir.

Et en Belgique? En ce qui me concerne, 2023 est l’année de la découverte de Jip van den Toorn, une femme dessinatrice — pour le dire clairement, car beaucoup de lecteurs de journaux pensaient que Jip était un homme — qui publie régulièrement dans De Morgen et dans De Volkskrant. Âgée de 29 ans, dans ses dessins elle pose des questions embarrassantes au lecteur, à elle-même et sur soi-même. Certains de ses cartoons ont été rassemblés dans un livre, Crisis, publié par la maison d’édition Podium. Dans une interview dans le magazine néerlandais Linda, elle déclare : « Je me ridiculise totalement et les gens s’y reconnaissent. C’est un honneur pour moi. Ces personnes ne lisent généralement pas les journaux, mais via Instagram, elles voient quand même mes dessins. Je suis assez fière de toucher plusieurs tranches d’âge. » C’est dire la puissance des réseaux sociaux, et combien les autrices et les auteurs doivent désormais en tenir compte. Les réseaux sociaux portent aussi l’espoir de voir la jeunesse s’exprimer à nouveau, sans crainte de partager son opinion, et ce à travers tous les médias possibles où ces prises de position atteignent des personnes de tous âges, toutes générations confondues, et de toutes sensibilités politiques. Non, malgré la critique et les reproches incessants venant de toute part, le métier de caricaturiste « politique » n’est pas encore mort.

Jip van den Toorn, Milieubewust © l’auteure et les éditions Lannoo

Dans le dessin Milieubewust (Conscience de l’environnement), on voit une femme assise dans un avion, « comme avant », mais qui maintenant marmonne « ce n’est vraiment pas possible ». Avec ce cartoon Jip van den Toorn a été la première femme et la plus jeune dessinatrice à remporter le prix Inktspot aux Pays-Bas, soit le meilleur dessin politique de l’année parlementaire. Le jury a salué la façon dont la dessinatrice a montré l’hypocrisie des défenseurs de l’environnement. « Celui qui voit ce beau dessin doit rire, mais en même temps il se regarde dans le miroir », a estimé le jury. Et c’est sans aucun doute la force des dessins de Jip van den Toorn. Espérons qu’elle inspirera de nombreux autres jeunes artistes.

Paul de Groeve


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