IA, Intelligence Artificielle?


Seed Factory / la Maison de l’Image présente actuellement des images exceptionnelles générées par des systèmes informatiques. Aux cimaises, quelques Deepfakes mettent en scène des people planétaires, elles voisinent de fabuleuses parodies de l’histoire de l’art, de la science-fiction revisitée, des accidents visuels aux résultats incongrus; et surtout une sélection d’artistes ayant jeté leur dévolu sur l’IA comme outil de création, sans oublier les non-artistes se reconnaissant dépourvus de tout talent mais produisant des images surprenantes. 

Unknown artist, Neanderthal selfie, 2024

Une part incontournable de l’exposition est consacrée aux images exprimant les questionnements sinon les craintes justifiées depuis l’avènement de l’IA. L’ensemble apporte aussi une réponse à la principale question qui se pose: comment faire pour piloter la génération d’une image, en écrivant un texte (prompt) précisant le type d’image que l’utilisateur veut obtenir? Cerise sur le gâteau, l’abondant catalogue — offert le soir du vernissage — est émaillé de dizaines de citations signées des plus grands noms, des plus enthousiastes aux plus pessimistes.

Alexander Mordvintsev, Google DeepDream inventor, 2023 © Alexander Mordvintsev

Art?ificiel Intelligence

Une carte blanche signée Michel Michiels 

Après que l’art conceptuel ait neutralisé la notion de talent, l’intelligence artificielle dissoudra-t-elle la notion de l’art? Que va-t-il advenir de ce futur imminent qui déboule et nous stupéfie alors qu’il nous avait pourtant prévenu? Au siècle passé, donc pas si loin de nous, Walter Lippmann, intellectuel américain prophétisait: ‘Les machines seront peut-être capables un jour de penser, mais elles seront toujours incapables de rêver.’ Sans vouloir ouvrir une polémique, on souhaite toutefois la bienvenue à cette expo qui tend à révéler le contraire. Avec des images hallucinées qui, si elles ne pensent pas, nous ouvrent les portes du rêve après un court passage dans le labyrinthe des algorithmes. Et si la forme de nos jours peut colorer la forme de nos nuits, pourquoi dénier au prompt la faculté d’orienter nos rêves?

Gian-Paolo Tucc, Typographic crossbreeding experiments, 2024 © Gian-Paolo Tucc

Entrons dans le nouveau monde. Évidemment, c’est un peu comme faire le point sur le romantisme avec les premiers succès de Lamartine en ignorant que Baudelaire allait naître l’an prochain. Mais restons dans l’image, nous sommes dans la préhistoire de l’intelligence artificielle et c’est là que réside le paradoxe: alors qu’il a fallu 24.000 ans entre la Vénus de Willendorf et la Vénus de Milo, chaque minute fait faire des bonds de géant à l’AI qui prospère sous nos yeux. C’est donc avec réserve que la Maison de l’Image présente cette exposition kamikaze dont nous savons qu’elle est déjà dépassée dès avant le jour de son vernissage. Et pourtant les perles sont là qui nous font de l’œil.

‘Artificial intelligence gives life to yesterday’s mechanical utopias, making visible an alternative future
that our ancestors were never able to touch.’ Ray Kurzweil, futurologist
Unknow artist

Mon ami Patrick Regout, comme beaucoup d’artistes, fut circonspect devant l’opportunité de présenter ce thème, ce projet qui aurait pu être interprété comme une action militante en faveur de l’IA. Il s’est engagé à fond dans cette expo dont il finira par être le moteur principal, qu’il en soit remercié parce qu’à l’évidence, ce n’est pas agréable d’apprendre qu’une carrière d’artiste pour construire un style peut être siphonnée par un logiciel farceur au profit de plaisantins sans talent. Ce qui pose la question juridique qui n’est pas la moindre dans le débat en cours (*). 

Unknow artist, Chou Marin, 2024

Deux joyeusetés attendent l’humanité au tournant du bois: le réchauffement climatique et l’Intelligence Artificielle. Le premier est moyennement réversible, tandis que le second est totalement inéluctable. On vit une époque formidable. 

(*) Les créateurs d’IA évoluent dans une zone grise juridique. Le droit d’auteur ne considère pas les systèmes d’IA comme des auteurs, car ils ne sont pas humains. Ainsi, en vertu de la loi actuelle, le contenu brut généré par l’IA tombe par défaut dans le domaine public. La paternité humaine reste donc le pivot de l’application de la loi sur le droit d’auteur, en attendant de mieux comprendre ce qui se déroule sous nos yeux. 

L’intelligence artificielle va-t-elle ruiner nos efforts climatiques? 

Une carte blanche signée Sarah Poucet 

Sarah Poucet, journaliste à la RTBF, autorise Lucterios à publier le compte-rendu de l’émission Le Tournant, le 12 janvier 2025, sur la 1ère. Qu’elle en soit remerciée. Voici le lien permettant d’y accéder: https://www.rtbf.be/article/l-ia-va-t-elle-ruiner-nos-efforts-climatiques-11487611

Générique RTBF, ‘Le Tournant‘, le vendredi de 12h30 à 13h sur La Première

Alors que l’intelligence artificielle ne cesse de se développer et de s’insérer dans nos usages, la question de son impact sur le climat se pose de plus en plus. Le numérique va-t-il aggraver notre empreinte écologique? Peut-il être un allié pour la réduire? On s’interroge en compagnie de Benoît Frénay, professeur d’informatique à l’UNamur, spécialiste en intelligence artificielle et Hugues Ferreboeuf, chef de projet pour The Shift Project, l’organisation présidée par Jean-Marc Jancovici, les invités du Tournant.

L’ère numérique et d’autant plus l’intelligence artificielle, ont en parallèle provoqué une croissance des besoins énergétiques. Les géants de la tech comme Meta, Google ou Microsoft rapportent ainsi, bilan après bilan, l’augmentation de leur consommation énergétique, ainsi que de leurs émissions de gaz à effet de serre. Cette croissance s’est encore accélérée depuis la création de l’IA générative (Chat GPT, etc.) au point que notre production énergétique finira par ne plus suffire. Face au risque de pénurie d’énergie et à la pollution dégagée par ces technologies, il y a lieu de s’interroger sur la pertinence de ces nouveaux cerveaux, disponibles en quelques clics. Pour Hugues Ferreboeuf, l’utilisation de l’IA doit faire l’objet d’un véritable débat démocratique. ‘Le déploiement de l’IA doit être considéré comme une question politique au sens profond du terme’.

Jeff Ruissaut, 2024 © Jeff Ruissaut
Igor Khod, How Different the Future Has Become, 2024 © Igor Khod

Benoît Frénay pointe le large spectre que regroupent les intelligences artificielles. Leur consommation est très variable en fonction de leur taille ou de leur technologie. Certaines IA peuvent ainsi fonctionner sur un PC individuel quand O3, le dernier modèle d’OpenAI encore à l’étude, demande l’équivalent de deux mois de consommation énergétique d’un ménage américain moyen pour effectuer une seule tâche. Ceci dit, une IA plus légère pourrait aussi devenir problématique. ‘Le paradoxe de Jevons nous dit qu’en fait, parfois, réduire l’impact énergétique d’une technologie va faire qu’on l’utilise plus et du coup globalement augmenter son impact’ alerte Benoît Frénay. Ainsi, si seulement 1000 personnes utilisent OpenAI O3 mais qu’un million d’utilisateurs se connectent chaque jour sur Chat GPT, Chat GPT a beau fonctionner de façon plus légère, son impact environnemental sera quand même plus grand. Hugues Ferreboeuf renchérit : ‘Ce qui rend l’IA problématique aujourd’hui, c’est la façon dont on choisit de l’utiliser.’

Nicolas Vadot, Sommet de Paris sur l’IA, L’Écho 11.02.2025 © Nicolas Vadot

Nos deux invités s’accordent donc à dire que l’IA n’est pas en soi problématique. Elle peut d’ailleurs servir à réduire nos émissions carbones. Mais les technologies doivent être développées pour nos besoins et non l’inverse. Or les entreprises de la tech ne sont pas guidées par le bien commun ou un cadre politique défini, mais bien par leur profit. ‘Les grands acteurs du numérique peuvent se permettre cette fuite en avant parce qu’en fait ils savent la financer et ils peuvent l’envisager sur le moyen terme’ souligne Hugues Ferreboeuf. ‘Le grand risque aujourd’hui, il n’est peut-être pas tant technologique, il est plus lié à la campagne marketing que font les grands acteurs du numérique et aux modèles d’affaires qu’ils ont, qui ont besoin de ces relais de croissance pour continuer à prospérer’.

La limitation des effets négatifs de l’IA ne viendra donc pas des entreprises numériques elles-mêmes, dont les bénéfices reposent sur ce modèle de croissance, mais bien de la société civile et de décisions politiques. L’appel est donc lancé.

Suct, Couverture pour IA Mag, 2024 © Suct
VIC, AI For Mayor, 2024 © Victor Miller

Art?ificiel Intelligence
La Maison de l’Image / Seed Factory
19 avenue des Volontaires, 1160 Bruxelles
Métro Pétillon
Du 20 mars 2025 au 27 juin 2025
Tous les jours ouvrables, aux heures de bureau de 10 à 17h
Fermé samedi et dimanche ainsi que les jours de congés légaux
www.seedfactory.be

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2 réponses à “IA, Intelligence Artificielle?”

  1. J’aime la réflexion de Walter Lippmann disant que la machine sera toujours plus capable de penser mais pas de rêver. Une telle question est philosophique: suffit-il de rêver et de graver dans nos mentalités un « supplément d’âme » indispensable? Je pense que les deux sont nécessaires mais parfois l’un doit s’imposer sur l’autre. Il faut rêver d’un monde en paix, mais réfléchir sur la manière d’y arriver, mais on constate que le rêve est toujours gangréné par le profit. La morale est une chose, la cupidité en est une autre. Seuls les animaux arrivent à un équilibre vital, et voilà pourquoi ils sont encore là, et qu’ils nous survivront.

    • Oui Xavier, je te rejoins dans ta réflexion :
      Je n’aimerais pas vivre dans un monde d’images (dé)générée par l‘ « intelligence artificielle » (Indigence artificielle ?). C’est froid, c’est triste, ça manque d’émotions. Cependant, l’hyper-réalisme sera fort apprécié par la clientèles des réseaux sociaux. Nous sommes dans un monde mercantile à outrance, à l’image d’un président qui gère son pays de cette façon. L’ia a son avenir dans le médical, traduction, etc. ça, j’y crois. Mais à nouveau, donner une intonation à une voix pour la doublure d’un film manquera d’émotions. Nous sommes dans une prouesse technique, et après? Créer des images de plus en plus choquantes pour réveiller le consommateur? Je souhaiterais comprendre.

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