Joël Guenoun, à l’heure du foot


Joël Guenoun, Le Mot du Mardi Matin du 29 novembre 2022 © l’auteur

Il a été impossible à quiconque d’éviter la Coupe du Monde de Football organisée par le Qatar en décembre dernier. Pour Joël Guenoun, qui publie chaque semaine Le Mot du Mardi Matin (MMM — https://www.joelguenoun.com), l’occasion était belle d’exercer son savoir-faire d’auteur de calligrammes typographiques.

Joël Guenoun, Le Mot du Mardi Matin du 29 novembre 2022 © l’auteur
Joël Guenoun, Le Mot du Mardi Matin du 29 novembre 2022 © l’auteur

Pour rappel, un calligramme est un texte, ou un mot, dont les lettres se disposent de manière à visualiser un contenu. Chaque semaine, Joël Guenoun publie ainsi un mot-image lié à l’actualité, à l’instar des dessinateurs de presse au sens usuel du terme, sauf qu’ici l’image est aussi un mot, et d’abord un mot. On suppose que le premier pas du créateur de calligrammes consiste à épingler les morphèmes du jargon spécifique du thème à figurer, des mots dont le seul énoncé évoque déjà la matière à illustrer. Puis à jouer, curieux de chaque accident qui apparaît sur la page d’esquisses. Ici, il s’agit de « corner », « onze », « match nul, » « carton rouge », entre autres. Par défi sans doute, ou par coquetterie, l’auteur en a choisi douze, soit le nombre de joueurs d’une équipe sur le terrain… plus un remplaçant dont le « ç » évoque le joueur faisant banquette, avant de relayer un de ses coéquipiers blessé ou fatigué.

Joël Guenoun, Le Mot du Mardi Matin du 29 novembre 2022 © l’auteur
Joël Guenoun, Le Mot du Mardi Matin du 29 novembre 2022 © l’auteur

Reste à trouver des analogies visuelles. Rien de tel que le jeu pour y arriver. Certaines sont évidentes, ainsi corner, dont le « o », tout petit, devient le ballon placé dans le grand « C » dessiné de trois segments de lignes droites, et qui figurent opportunément l’angle du terrain d’où le coup de coin est tiré. L’auteur cherche ce type d’évidence, qu’il trouve par exemple avec « arbitre », un mot composé de sept lettres, trois d’un côté, trois de l’autre, avec le « i » comme « impartial » au milieu. L’énoncé « latéral » offre le même degré de similitude étant donné que le mot commence et se termine par un « l » qui indique les limites extérieures du terrain. On entend aussi latéral, gauche ou droit, selon la mission ou la position du joueur.

Joël Guenoun, Le Mot du Mardi Matin du 29 novembre 2022 © l’auteur
Joël Guenoun, Le Mot du Mardi Matin du 29 novembre 2022 © l’auteur

La particularité d’inscription du mot « onze » réside dans le « n » qui peut aisément se remplacer par le chiffre 11 étant donné la structure similaire de leur architecture graphique, tout simplement. Il arrive qu’un signe extérieur, minimal, facilite la visualisation comme avec « lob » dont le signe indiciel de trajectoire et de rebond effectue le travail à lui tout seul. Le mot « détente » semble plus compliqué, pas pour longtemps puisque pour une fois le graphiste abandonne la ligne de base horizontale normative, qu’il échange pour une inscription verticale suggérée par le contenu même, où les trois « e » se superposent comme un ressort dynamique.




Joël Guenoun, Le Mot du Mardi Matin du 29 novembre 2022 © l’auteur
Joël Guenoun, Le Mot du Mardi Matin du 29 novembre 2022 © l’auteur

La qualité du créateur de mots-image serait-elle pareille à celle d’un entraîneur de football? En effet, son job réside en sa capacité à tirer le meilleur de chacun des éléments mis à sa disposition, et à les combiner ensemble dans la même intention d’atteindre le but. L’idée de carton rouge s’affiche d’une autre façon toute simple et efficace puisqu’un véritable carton rouge est brandi pour sanctionner une faute grave. Ce signe coloré prend la place du « 0 » inclus dans le mot « carton », et dont il est proche par la police typographique choisie. La remarque vaut son pesant d’or, puisque de nombreuses solutions se lient à ces choix: avec une autre typo, cela ne fonctionnerait pas, ou pas aussi bien. Voilà qui exige une connaissance immense du répertoire typographique dans son entier, sans s’imposer aucun a priori. Voilà pourquoi les douze typographies de chacune des solutions proposées diffèrent, car elles s’adaptent au cas par cas. L’artiste sait que le bon choix de typographie est déjà une partie de la solution.

Joël Guenoun, Le Mot du Mardi Matin du 29 novembre 2022 © l’auteur

Il est instructif et amusant d’examiner les propositions de Joël Guenoun dans leur ensemble, tant elles diffèrent les unes des autres. Cela suppose une imagination graphique constamment en éveil, couplée à un bagage étendu de ce que peuvent les polices d’écriture, et des potentiels de chacune des fontes. En un mot, la prouesse hebdomadaire du MMM repose à la fois sur des ressources d’érudition et des qualités d’invention les plus affûtées, du jeu associé à la rigueur du savoir. Ah ! Combien ceci semble simple… après coup.

Joël Guenoun, Le Mot du Mardi Matin du 29 novembre 2022 © l’auteur

Le seul mot-image présenté ici qui exige la couleur est « carton », rouge oblige. La plupart des autres vignettes pourraient s’inscrire en seuls noir et blanc. Toutefois, il est visuellement plus confortable et plus aisé, plus clair, de déposer l’ensemble sur un fond neutre, un gris coloré en l’occurence. Souhaitant rester simple et minimaliste, Joël Guenoun place chacune de ses créations au centre d’un carré, excluant par là volontairement d’autres possibilités. Celles-ci, on s’en doute, sont nombreuses. Mais pour les découvrir, rien ne vaut une visite sur le site de l’auteur…

En ces derniers jours de janvier, Joël Guenoun envoie ses meilleurs voeux pour la nouvelle année, et je me joins à lui.

Joël Guenoun, Le Mot du Mardi Matin
https://www.joelguenoun.com


8 réponses à “Joël Guenoun, à l’heure du foot”

    • Salut Josse. Venant de toi — qui ne prend la plume qu’en de rares occasions — ton commentaire me fait vraiment plaisir. En fait, il y a longtemps que je pensais rédiger un hommage à Joël Guenoun, tant son travail me semble exceptionnel. Plus largement, et si ce n’était si long et parfois fastidieux à réaliser, il y aurait une belle expo à présenter chez Seed Factory, sur le thème du calligramme, de toutes époques, et de toutes civilisations.

  1. Dans un créneau qui semble si simple – l’interprétation graphique d’un mot-, il y a toujours eu cette créativité étonnante, foisonnante qui suscite l’admiration depuis plusieurs années.
    Bravo Joël et merci Vincent pour cet article,
    Francis

    • la longévité de Joël Guenoun est en effet étonnante. Comment fait-il pour se renouveler sans cesse, et ne pas tomber dans les mêmes recettes? Car le piège est là. Quand une idée marche, et que le public apprécie, il est tentant de resservir plus ou moins le même plat. Mais, l’exigence n’est pas la même. Les artistes qui vivent sur le mode de l’invention prennent un double risque: à la fois de mal faire, et de se voir déserté par le public. Saluons ceux qui osent.

  2. J’aime beaucoup ces calligrammes! Le Journal Tintin a présenté 20 pages intitulées « Les Mots mobiles ». J’ai utilisé ces dessins merveilleux d’inventivité dans de nombreux cours de dessin à l’école primaire. Les élèves adoraient. Les dessins étaient envoyés par des lecteurs de 13 à 45 ans, venant de Belgique, de Berlin et du Zaïre!

    • Merci Jean-Pierre, parce qu’en plus de ton travail d’enseignant, tu sais combien la pratique est difficile. C’est comme les acrobates au cirque, cela semble si simple. Mais pour s’y être frotté, on sait le travail, la persévérance, la volonté, les sacrifices et le savoir-faire qu’il y a là-derrière.

      Cela étant dit, je reçois tellement de réactions et de suggestions graphiques, que je songe à un prochain Lucterios qui publierait quelques-unes de ces propositions. D’ici deux semaines ?

  3. Maaagnifiques calligrammes. Je me rappelle d’un cours, à l’Erg, où l’un d’entre nous avait fait « Pourri Moche » à la place de « Paris Match »… Il avait poussé le jeu jusqu’à faire de fausses covers… et personne n’avait lu autre chose que « Paris Match » en première lecture. Un des cours riches en découvertes que proposait l’ERG à l’époque. C’était dans les années 80

    • Salut Gérard, oui, l’exercice du calligramme est fondamental car il mélange le verbal et le non verbal. Et, en effet, sans un oeil averti, on est parfois piégé. Te souviens-tu de l’auteur de ce Pourri Moche? Je sais que Giovanni Guarini en avait proposé l’un ou l’autre vraiment chouette. Mais, dans mon souvenir, c’était quelques années avant.

      L’Erg a bien changé. Pour le meilleur? Ou pour le pire>? Question de point de vue, sans doute.

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