Karel Anthierens, compagnon de route


Marec, Au paradis du cartoon, ils ont même Charlie Hebdo!, 16.12.2022 © Marec 

Lorsque Karel Anthierens a fondé le Press Cartoon Belgium à la veille de l’an 2000, plus d’un observateur a considéré l’idée comme étant saugrenue, et même parmi les professionnels certains sont restés dubitatifs. Qu’importe, Karel croyait en son projet, car les décennies d’immersion dans le paysage de la presse écrite l’avaient convaincu que la formule « Un petit dessin vaut mieux qu’un long discours » était adaptable à la presse quotidienne, en devenant « Un bon dessin vaut tout autant qu’un éditorial ». En soumettant le dessin aux mêmes exigences que le rédactionnel, Karel a suscité un saut de qualité, et le lecteur s’est mis à apprécier toujours davantage ce type d’image lisible en quelques secondes, et déjà porteuse du goût et de la senteur du message développé dans l’écrit. 

Albert Pepermans, Encore un dernier dessin pour Karel, un monument cinq étoiles, 18.12.2022 © Albert Pepermans

Quelques obstacles se sont présentés sur le chemin de la réalisation de cette belle idée. Un dessinateur de presse travaille en solitaire, mais il dépend parfois des indications du rédacteur en chef, avec des instructions variables selon le penchant du médium où il est publié, et son lectorat. S’il est seul devant sa feuille vierge, le dessinateur est néanmoins le récepteur plus ou moins affûté de la chose publique, qu’elle soit locale ou planétaire. Son travail consiste à cristalliser l’émotion commune de manière plus rapide et légère, dans laquelle l’humour n’est jamais bien loin. D’autre part, le nombre élevé de dessinateurs pour un nombre réduit de supports fait que chaque auteur défend d’abord son bifteck. En créant le Press Cartoon Belgium, qui rassemble de manière conviviale le maximum d’auteurs, Karel réussit à passer outre de la concurrence exigée par la loi du « chacun pour soi ». Il en naît un certaine corporatisme, certes, mais surtout un dialogue où chacun découvre les problèmes communs, et les manières différentes de traiter un sujet. 

Cost., 18.12.2022 © Cost. 

Karel adorait être surpris, voire bousculé par une audace ou un propos qui sort de l’ordinaire. Le lecteur et les auteurs découvrent la diversité des points de vue, et par conséquent, s’ils le souhaitent, la relativité de leur propre pensée. Ils y apprennent encore la variété des métiers et des solutions graphiques possibles. Ainsi, pour un même contenu informatif, mille dessinateurs trouvent mille manières de le visualiser, aucune n’étant a priori meilleure que l’autre. Certaines façons de travailler, toutefois, sont plus efficaces que d’autres, ce qui entraîne l’émulation par laquelle le dessin d’humeur accède à la communication. Il en résulte une valorisation de la profession, bénéfique à la communauté par-delà les individualités et les frontières linguistiques. Jamais les femmes n’ont été oubliées dans ce processus, sans que le sexe de l’auteur.e soit une discrimination, ou un passe-droit: pour Karel, un dessin est un dessin, quelles que soient les particularités de l’auteur.e. 

Ever Meulen, 18.12.2022 © Ever Meulen 

Quelques problèmes ont été plus ardus à résoudre. Il est arrivé que certains auteurs, déçus de ne pas être valorisés à hauteur de leurs espérances, ont réclamé des critères précis, notifiés en une feuille de route qu’il suffirait de suivre à la lettre. Or, les plus inventifs des auteurs sont précisément les plus inattendus et les plus imprévisibles, et le domaine de la création bouscule les critères. L’argument est dès lors irrecevable. D’autres auteurs n’ont jamais admis que leurs productions soient évaluées par des personnes étrangères au dessin de presse. Comme si ce métier public avait l’entre-soi pour vocation! Pour pallier à ce reproche, Karel a convoqué chaque année un jury de composition différente, et en a confié la présidence à une sommité internationale dont la carrière et l’impartialité ne font aucun doute, par exemple Georges Wolinski, Gerald Scarfe, Odile Conseil, El Roto, Gerhard Haderer. Avec le temps, cette initiative a dû être abandonnée, hélas. D’autre part, le travail de sélection a été découplé de celui de l’évaluation. Grâce à ces aménagements, plus personne ne peut prétendre que les dés auraient été pipés, et chaque année les compteurs sont remis à zéro. Au passage, cette présidence à la réputation incontestable gonfle la notoriété de l’institution et des prix qu’elle décerne. 

Gal, 18.12.2022 © Gal 

 

D’autres questions ont été débattues, comme le fait de savoir si le travail de sélection ne devait garder que les meilleurs dessins, ou être représentatif de la production dans son ensemble? L’apparition puis la généralisation du numérique et des réseaux sociaux ont opposé pour un temps les anciens et les nouveaux. Les dessins retenus échappent à leur condition de consommable immédiat, et s’installent dans la durée: en effet, si la date de péremption d’une image de presse quotidienne est de 24 heures après sa production, voire d’une semaine pour la presse hebdomadaire, on constate que les plus marquantes des images de presse parlent toujours, malgré le temps qui passe. En ce sens, le Press Cartoon Belgium a institué ce que les historiens savaient déjà: un bon dessin de presse dépasse le temps local dont il témoigne pour s’ancrer dans le réservoir immémorial de l’imaginaire humain. 

Johan De Moor, 18.12.2022 © Johan De Moor 

Peu d’hommes ont la capacité de modifier leur environnement, ne serait-ce qu’un tout petit peu. Sans le moindre doute, Karel Anthierens a été de ceux-là. Tant que le Press Cartoon Belgium garde la capacité à s’adapter aux modifications des divers biotopes dans lesquels il évolue, cela signifie qu’il reste vivace. Merci Karel pour le plaisir et l’intelligence que tu as offerts à tellement de tes frères et soeurs humains. Dank U Karel, mijn vriend, inoubliable compagnon de route. 

Karel Anthierens, 2022 © photo Saskia Vanderstichele 

 


4 réponses à “Karel Anthierens, compagnon de route”

    • Merci Daniel,

      Cet hommage est avant tout l’histoire d’une amitié de plus de vingt années, des liens qui s’y sont formés, du respect dû à la probité, du travail en équipe où l’un valorise les compétences de l’autre.

  1. Superbe hommage. Les références d’une carrière si variée, ludique et intense, au fil d’une amitié dense et forcément unique sont évoquées avec précision et une émotion maîtrisée. Le problème finalement n’est pas de vieillir comme tout un chacun. C’est surtout d’accepter de perdre des complices de vie qui tissèrent une histoire commune et dont nul ne pourra jamais prendre la relève. La vie ne repasse jamais les plats. Raison de plus pour y goûter sans réserve ni vergogne. Avec de les « Peï », pareils, elle en vaut la peine.

  2. Il y a des gens qu’on regrette d’avoir raté dans sa vie. Karel Anthierens était de ceux-là. Il fut à l’origine du Press Cartoon Belgium. Un homme intègre qui a eu l’intelligence de mettre chaque année aux commandes de ce concours un nouveau Jury! Et ce, toujours dans le but de rendre le meilleur hommage aux dessinateurs de cartoons.Saluons aussi les splendides dessins de Cost, Ever Meulen,Marec, Johan De Moor et Gal, qui rendent un hommage mille fois mérité à K.Anthierens. Quand je déambulais devant les cimaises du Salon Cartoon de Knokke, c’était toujours un sentiment de joie pure. Tous ces artistes nous prenaient par la main et nous emmenaient grâce à l’humour dans un monde enchanteur – dont nous avons tellement besoin.

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