Kroll lance des bouteilles à la mer


dessin réalisé pour l’exposition, 2023 © Pierre Kroll

Pierre Kroll est-il désespéré à ce point? Selon le titre de l’actuelle exposition à Spa, on s’imagine le dessinateur comme dans les bandes dessinées, rescapé d’un naufrage, seul sur son île déserte avec un palmier pour seul compagnon, amaigri, dépenaillé, barbu, et qui balance ses dessins enfermés dans une bouteille, avec l’espoir que quelqu’un, un jour, les recueillera à l’autre bout de l’océan. Il faut rappeler ici que Pierre Kroll, né en Afrique et titulaire d’une licence en sciences de l’environnement de l’Université de Liège, sait mieux que quiconque qu’au rythme où vont les choses, la planète devient invivable, avec des épisodes de sécheresses et d’incendies d’un côté, des inondations en série de l’autre. Dans certaines parties du monde — et peut-être bientôt chez nous — la guerre de l’eau s’apprête à faire davantage de victimes que les conflits déclenchés par les dictateurs toujours plus nombreux. L’eau, que l’on croyait inépuisable à l’image des ressources naturelles, rappelle que le saccage de notre unique Terre au nom du profit conduit l’espèce humaine au suicide.

Pierre Kroll, 2013 © Pierre Kroll

Et c’est ici que la fonction du dessinateur de presse entre en jeu, car oui, l’actualité est à chaque jour un peu plus désespérante. Et pourtant, le rôle du dessinateur-artiste est de percevoir et rendre visibles ces mille et un détails qui font sourire, malgré tout. Vue sous un certain angle la sinistrose peut toujours révéler un aspect drôle, et c’est même la force d’un auteur qu’être capable de le voir et le raconter. Il en va du dessin de presse comme des malheurs des stars et des grands de ce monde: il aide les petites gens à supporter ce qui leur pèse. Les dérisoires contrariétés des uns font le grand bonheur des autres! En ce sens, le dessin de presse aurait un rôle thérapeutique, il serait un support émotionnel au même titre qu’un chien de compagnie (Kroll dessine admirablement bien ce genre de cabot).

Pierre Kroll © Pierre Kroll
Pierre Kroll © Pierre Kroll

Il fallait du culot pour oser le titre Kroll lance des bouteilles à la mer. La ville de Spa proche des cantons de l’est de langue allemande serait-elle devenue une ville côtière? En Belgique où la guéguerre entre les régions chatouille les egos, l’intitulé marque un sens de l’humour affuté. L’énoncé dit très bien ce que Pierre Kroll réalise par ailleurs avec le dessin, quand il tresse ensemble des séries qui a priori ne vont pas ensemble. Ainsi, il est hardi de figurer la noblesse de la fonction royale avec un peignoir, la couronne et des pantoufles fatiguées. Comme il est croustillant d’évoquer l’adolescent contemporain via l’uniforme qui le caractérise, bigleux, les paupières lourdes, en mal d’orthodontiste, la casquette vissée de travers, boutonneux. Il en va de même pour traiter l’ensemble des types sociaux, par exemple les ayatollahs et les talibans, le Christ, les noirs, les femmes fatales, les pingouins et les our sur la banquise, etc. Pierre Kroll singe le cliché social, jamais l’individu, parce qu’il respecte le plus modeste d’entre nous, et que jamais on ne trouve de sa part un atome de cruauté envers les plus faibles. Le même contenu serait moins percutant s’il était tracé par un auteur de moindre qualité, car les signes apparemment vite jetés sur la feuille indiquent la double qualité du regard sagace et la main d’une rare virtuosité.

Pierre Kroll, 2019 © Pierre Kroll

Il fallait de l’aplomb pour exposer des dessins d’humour dans une ville d’eau qui a connu les inondations tragiques de l’été 2021. Une approche provocatrice aurait valorisé les seuls dessins relatifs à cette thématique, tout comme il aurait été malheureux de limiter Pierre Kroll au dessinateur du seul registre écologiste. Il a été choisi d’étendre la présentation à l’ensemble de l’oeuvre. Marc Dausimont, l’ami, le collaborateur et le fin connaisseur de l’oeuvre, s’est chargé de la sélection des pièces exposées. Elles viennent de tous les bords, des anciennes, des nouvelles, des très connues et d’autres moins, elles abordent la panoplie complètes des thèmes qui habitent le dessinateur et l’homme médiatique… Quant à la scénographie, remarquable parce que bien pensée et variée dans sa présentation, pédagogique aussi, elle vaut le détour.

Pierre Kroll, 2015 © Pierre Kroll
Pierre Kroll, 2016 © Pierre Kroll

Les images dessinées par Pierre Kroll véhiculent une image positive et résiliente, légère et pétillante comme l’eau de la ville qui les accueille. Ceci confirme sans nul doute les impératifs commerciaux et d’image de la marque au Pierrot bondissant — dont le logo a été dessiné il y a juste un siècle par Jean d’Ylen en 1923. Plus que jamais, l’eau devient synonyme d’or liquide. Et si Kroll lance des bouteilles à la mer comme les Gilles lancent des oranges à Binche, soyons assurés qu’il s’agit de bouteilles d’eau de Spa.

Pierre Kroll, pour Cartooning for Peace © Pierre Kroll

Kroll lance des bouteilles à la mer
Maison du tourisme, bâtiment Pouhon Pierre-le-Grand
Rue du Marché 1a, B – 4900 Spa
Du 15.06.2023 au 07.01.2024
Tous les jours, sauf le 25.12.2023 et le 01.01.2024
De 10 à 17h du 16.06 au 30.09.2023
De 10 à 16h du 01.10.2023 au 07.01.2024
info@ccspa.be

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3 réponses à “Kroll lance des bouteilles à la mer”

  1. Pour info, contrairement à ce qui est indiqué sur le site officiel, cette exposition Kroll n’est pas gratuite : entrée 10 euros. Même si c’est raisonnable, je trouve personnellement qu’une ville aussi touristique aurait pu offrir la gratuité à ses habitants et aux nombreux visiteurs de passage (j’ai constaté que la plupart de ceux-ci passent leur chemin à l’annonce du prix à payer). PR

  2. Hello Patrick, merci pour ton infirmation. Tu sais aussi que visitant le plus souvent les expos de manière anonyme, je paie aussi mon entrée. Et en effet, je confirme le prix du billet. Tu auras aussi vu ci-dessus que Lucterios indique toujours une adresse de contact où le visiteur potentiel peut s’adresser q’il souhaite ne pas avoir de surprises. J’aimerais signaler encore que malgré mes demandes répétées, les organisateurs ne m’ont jamais envoyé quelques illustrations comme on le fait d’habitude dans le dossier de presse: il n’y en avait pas. Faut-il y voir de l’amateurisme ou autre chose ?

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