La courbure de l’horizon


Il était judicieux, après toutes ces années marquées par le Covid, d’organiser une exposition (qui se tient sur deux sites) qui ouvre largement les fenêtres sur le monde. L’intitulé La courbure de l’horizon invite ainsi à la rêverie, puisque le terme indique la limite circulaire de la vue, pour un observateur qui en est le centre.

Benoit Félix, Borderline, vidéo, 2010 © l’artiste

Quelques concepts familiers au monde des artistes se rejoignent dans ce mot: limite, vue, centre. Vis-à-vis de ses prédécesseurs, une partie de l’art contemporain se spécifie par l’interrogation des limites et des codes implicites qui le régissent. Sur une autre échelle de temps et d’espace, plusieurs civilisations ont fantasmé sur ce qui se passe au-delà de l’horizon, avec la question de savoir, par exemple, ce que font le soleil ou la lune quand ils se couchent, et avant qu’il se lèvent. Avec la supposition que cette face sombre est tout aussi active que la vie sur terre en plein jour. D’autres ayant cru que la terre étant plate craignaient le gouffre mortel, insondable, situé à la limite du monde visible. On perçoit immédiatement le pouvoir d’imagination que sollicite un tel thème.

Jean-Paul Brohez, Sans-titre, 1999 © l’artiste

Une seconde idée suggérée par l’horizon est sa dominante visuelle. Il ne peut y avoir d’horizon dans des espaces réduits. Or, l’être humain privilégie l’approche liée à la perception par le regard, notamment avec les arts plastiques, comme le montrent le dessin et la peinture depuis des millénaires. Si l’horizon peut aisément se figurer avec une image, la chose semble moins évidente pour les arts musicaux par exemple, voire la littérature ou l’art floral. L’horizon pose un autre problème, puisque des choses aussi matérielles et de proximité, mais aussi différenciées que le sol sur lequel on marche et auquel on est rivé, et le ciel où les oiseaux volent, se rejoignent dans le lointain extrême. Ils se fondent l’un dans l’autre, alors que l’expérience quotidienne des sens les distingue sans la moindre hésitation. La notion de courbure de l’horizon est du même ordre, tant la perception de ligne courbe qui s’étale sur une circonférence de plus de 40.000 kilomètres est imperceptible à l’oeil des terriens. Pour la percevoir, il faut prendre de la hauteur, à la manière des voyageurs de l’espace, ce qui n’est pas encore accessible à tout un chacun. Peut-être, d’ailleurs, que cette nécessaire prise de distance qui permet de voir autrement est aussi ce que la société d’aujourd’hui demande à ses artistes?

Daniel Locus, Ostende, 18/05/2006 – 17h00 © l’artiste

Bernard Villers, Bascule, détail, 1976-2022 © l’artiste

L’idée d’horizon ne peut se concevoir que d’après un point de vue central, d’où les yeux balayent. On peut y voir un reliquat de l’héritage culturel d’un monde qui pensait que l’humain était le centre du monde. Si il y a longtemps que nombre de disciplines défont cette idée, il faut bien admettre que le monde de l’art éprouve des difficultés à se débarrasser du préjugé. Car nos sociétés demandent aux artistes de livrer le regard le plus individualisé et une œuvre hautement personnelle. Même la réalité virtuelle n’y échappe pas. La richesse de ce point de vue incarne, reflète et promeut les valeurs sociales dans lequel l’artiste baigne, ou qu’il préfigure, et fait la qualité de sa création. Or, des artistes à l’égo peu banal tombent dans le piège de croire que leur position centrale est un droit à la flatterie narcissique, oubliant un peu vite l’humilité de la dimension collective et du lien aux choses que la société attend d’eux, aujourd’hui.

Daniel Dutrieux, Atlantique, Portugal, 2020 © l’artiste

Ces quelques clés que sont le centre, la vue, la limite font partie du cocktail que nous livre chacun des 23 artistes présents ici. Chaque œuvre développe ces ingrédients de manière plus ou moins condensée, en des quantités très variables, par le biais de divers médiums, qui parfois se connectent entre eux. Il en résulte une création originale pour chaque démarche, au point que le lien thématique qui unit toutes ces œuvres finit par se fondre… à l’horizon! Si l’on souhaite prendre la mesure de la complexité de l’art conceptuel contemporain, cette manifestation est à voir, sans a priori.

Thomas A Clark, To unfold on a clear day, 2021 © l’artiste

Pour en savoir plus sur chacune des 23 oeuvres exposées ici, et comment elle s’intègre dans la démarche de l’artiste, on peut se référer au catalogue édité pour l’occasion, lire la revue de la galerie de Wégimont, ou s’informer sur le site https://lrs52.be

Bernadette Kluyskens (1), Diabolo.be, 1979 © l’artiste

La courbure de l’horizon

Galerie LRS52
Rue Lairesse 52, 4020 Liège
Du 25 septembre au 23 octobre
Du jeudi au samedi de 15 à 18h
et les dimanches 25 septembre et 23 octobre de 15 à 18h
https://lrs52.be

Galerie de Wégimont
Chaussée de Wégimont 76, 4630 Soumagne
Exposition du 24 septembre au 23 octobre
Samedis et dimanches de 14 à 18h
ou sur rendez-vous au +32 477 38 98 35

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2 réponses à “La courbure de l’horizon”

    • Daniel et Bernadette ont été parmi les premiers étudiant.e.s de l’Erg. C’est avant tout le signe d’une époque, et d’un enseignement qui inculquait une ligne créatrice plus importante, vraie, authentique, que toutes les autres considérées comme des relents passéistes. Comment ne pas croire à la supériorité du progrès au début des années 1970? Et comment ne pas croire, et espérer, que la Science allait tout résoudre. Dès lors, il fallait un art scientifique, ce que Jean Guiraud-Bernard était en train de réaliser avec ses travaux sur Mondrian et Cezanne.

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