Une carte blanche signée Michel Oleffe
Nous avons perdu Josse Goffin, disparu ce 9 juillet au terme d’une courte mais douloureuse maladie. Évoquer son univers est superflu, car Josse est un dessinateur sur qui on a beaucoup écrit, et souvent brillamment. Un peu malgré lui, dirais-je, car c’était un modeste que la gloire n’avait pas corrompu. Josse était né et avait grandi parmi le petit peuple de Bruxelles, celui qui a fait du mot architecte une insulte. On ne rappellera pas pourquoi. Ce n’est pas le moindre mérite de l’école publique d’avoir très tôt remarqué son talent. Poussé par ses professeurs, soutenu par ses parents, il a fait des études artistiques à Saint-Luc et à La Cambre, l’école à laquelle il est resté fidèle toute sa vie et où il a même enseigné le dessin d’humeur. Et cela bien qu’il prétendît n’avoir choisi cette institution que parce qu’on y accueillait aussi des filles!
Son parcours professionnel fut diversifié, entre l’illustration fonctionnelle (certains diront mercenaire) — au profit d’institutions ou d’entreprises — et l’art de cimaise. Son univers, par contre, est resté le même tout au long de sa carrière: charme, évidence, humour, couleur, émotion. Plus tard, il s’est aussi essayé — avec le brio que l’on sait — à la création de livres, raflant au passage un grand prix à Bologne et une place dans les plus grands musées.
Une nuance toutefois. Je l’ai parfois suspecté d’être un faux modeste, car je le savais attaché à son statut d’artiste. Peut-être. Chacun a droit à sa part d’ambivalence, après tout. À moins que ce fût de l’inquiétude. Le statut d’artiste est incertain et il a dû parfois regretter le confort simple de la petite poissonnerie familiale de la rue des Carmélites. En plus de quarante ans de compagnonnage, j’ai eu l’occasion de suivre son cheminement. Il a beaucoup travaillé pour IBM, société un peu austère qu’il a bousculée en faisant courir sur ses murs des lapins de couleur. Avant de devenir notre affichiste régulier.
Josse avait le dessin dans le sang. Il griffonnait tout un temps sur les nappes (en papier) des restaurants, sur lesquelles il traçait de savants assemblages de lettres en forme de jeux de mots. J’en ai conservé un grand nombre. Un jour, il s’est senti attiré par les sacs à ciment abandonnés sur les chantiers. Ces sacs, une fois nettoyés et repassés ont servi de support à une étonnante série de dessins, mélanges de typographie industrielle et de fantaisie illustrative. Ces œuvres n’ont jamais intéressé la cimenterie d’Obourg, bien trop occupée à soutenir un club local de balle-pelote. Dans ses récentes expositions, Josse avait investi les emballages à tartes. Ces boîtes circulaires ont ainsi connu la gloire posthume de superbes exercices colorés. Avec ses sacs à ciment et ses boîtes à tarte, il avait investi à sa manière ce qu’on appelle aujourd’hui l’économie circulaire.
On l’aura compris, Josse dessinait tout le temps et sur tout. Il avait parfois des idées saugrenues comme ce voyage avec quelques amis sur le chemin de Compostelle, histoire d’aller admirer les vitraux de Soulages à l’abbaye de Conques. Ces dernières années, il s’était réfugié dans son petit atelier d’Ixelles où il donnait libre cours à sa boulimie graphique et au détournement d’objets. Fidèle à ses aspirations, il avait installé devant son antre un banc où les visiteurs et les passants pouvaient se reposer un moment.
Nous devons tous quelque chose à Josse. Personnellement, l’affiche qu’il a réalisée pour un congrès IBM à Madrid en 1983 m’a valu une récompense internationale. Il m’a aussi permis de mettre sur pied un livre résumant sa carrière. Il m’a encore fait l’honneur de me demander des textes pour accompagner une série de linogravures, un art pour lequel il avait repris des cours à l’Académie. Je lui dois enfin le délicieux abécédaire dont quelques lettres servent de décor à la chambre de mon petit-fils. Finalement, Josse aura réussi le difficile exercice de rester le gamin de Bruxelles qu’il a toujours été tout en titillant l’universel, se créant une place à part dans l’histoire de l’illustration. Peu y arrivent.
Josse Goffin laisse une œuvre considérable dont sa chère Lili — sa compagne de 60 ans — et ses enfants assurent aujourd’hui la conservation au sein d’une fondation inaugurée ce 25 août 2024. Nous n’avons pas totalement perdu Josse Goffin.
Une carte blanche signée Michel Michiels
Avant d’être l’immense artiste qu’il a été et qu’il restera, avouons-le tout de suite, Josse a débuté sa vie professionnelle dans la pub. A cette époque la publicité n’était pas encore cette pratique qu’elle est devenue aujourd’hui. Et le marketing était un moyen honorable d’augmenter les ventes.
Avec cet aveu, je voudrais introduire une nuance: il y a des artistes ‘commerciaux’ géniaux comme Savignac ou Cassandre, qui par leur sens de l’essentiel et la clarté de leurs idées ont introduit l’art commercial dans l’art. Le service qu’ils rendaient aux marques était le déterminant de leur démarche. Il en va tout différemment pour Josse: dans cet ancien monde, notre ami est un des rares cas où des annonceurs, et non les moindres, voulaient identifier leur image à l’œuvre d’un artiste. Un des rares cas où un grand annonceur pouvait dire ‘Je suis un roi du monde, mais je voudrais vous ressembler. J’adopte votre look et je vous paie pour’. C’est ainsi qu’on a vu le style inimitable de Josse signer les communications des plus grandes enseignes. Ou plus exactement on a vu ces grandes enseignes se glisser dans le monde préexistant que Josse avait créé. Peu d’artistes peuvent se prévaloir d’un tel attrait auprès des annonceurs. Et bien sûr auprès du grand public.
Donc Josse, en tant qu’artiste de renom, était aussi un homme de l’art commercial. Il a parcouru tout le spectre des marques, notamment dans la distribution à une époque où les grands magasins n’avaient pas encore mangé leur pain noir. Là encore son talent a pu donner toute sa mesure. Par la suite, chaque fois que l’occasion s’en présentait, nous faisions équipe pour remplir de joie l’un ou l’autre annonceur qui trouvait bien de se glisser dans le monde de Josse. Et chaque fois avec justesse et dans la plus grande simplicité, le mercenaire Goffin se mettait au service de la marque. Sans rien renier de ce qu’il était, produisant une magnifique synthèse entre l’image de son client et le monde dont il était le concepteur.
Nous nous sommes retrouvés à La Cambre dans l’atelier de notre ami Luc Van Malderen. Là, j’ai pu voir à quel point ce que Josse disait était lumineux et apprécié des étudiants. J’ai pu entendre à quel point il rendait simple les choses les plus subtiles. J’ai compris à quel point la création relevait pour lui de l’évidence. Le temps a passé et je sais que pas mal de ses anciens étudiants lui vouent une admiration sans borne. L’avenir retiendra de Josse un monde incomparable de signes, de symboles, de formes et de couleurs. L’avenir retiendra l’œuvre picturale d’un artiste immense. Et je me permets d’ajouter qu’il fut aussi un génial faiseur d’images commerciales. Merci, Josse, de nous avoir si souvent ouvert la porte de ton monde où, comme tu le disais, tu étais tous les jours en vacances.
La Fondation Josse Goffin se donne pour but:
- de conserver et de promouvoir l’ensemble de l’œuvre artistique de Josse Goffin
- d’acquérir et de collectionner les archives et œuvres de Josse Goffin
- de prêter, de vendre et de faire circuler sur le plan national et international les œuvres de Josse Goffin
- de soutenir la transmission aux générations futures des valeurs humanitaires fondamentales telles que la tolérance et l’égalité, ainsi que le langage graphique au moyen de supports artistiques visuels
Dans le cadre de la réalisation de ses buts, la fondation exercera les activités suivantes:
- l’acquisition, la vente et la mise en location des œuvres artistiques de Josse Goffin
- l’exposition et l’organisation d’expositions ainsi que de tout type d’événement en vue de faire connaitre l’œuvre de Josse Goffin
- la conservation, l’étude et l’enrichissement de la collection des œuvres de Josse Goffin
- la circulation des œuvres de Josse Goffin d’un point de vue national et international
- la constitution d’archives et d’un centre de documentation concernant les œuvres et la vie de Josse Goffin
Le siège de la Fondation est établi dans l’atelier de Josse Goffin au nº47 de l’avenue Emile de Béco à 1050 Ixelles, Belgique
fondationjossegoffin@gmail.com
5 réponses à “la Fondation Josse Goffin”
Merci Joose«ke» pour ton amitié et ton univers apaisant par sa plénitude!
Les artistes n’ont pas d’idées « saugrenues » au sens négatif qu’on donne parfois à ce mot. Ils ont des idées et des pulsions de vie propres aux créateurs originaux, talentueux, c’est à dire des élans inspirants, qu’ils expriment graphiquement, poétiquement et durablement. Ils illuminent le monde tout en restant parfois négligés, pas assez reconnus, voire dans l’obscurité et cela très dommage. C’est donc une bien bonne chose que ce grand artiste polyvalent et modeste (trop peut-être) sera donc, via cette Fondation, une lumière pour ceux qui le découvriront. L’art ne meurt pas, il est la vie même.
Xavier, saugrenu en réfère ici à un voyage ‘détourné’ de son objet, et non à l’oeuvre. Celle-là est tout, sauf saugrenue. Comme l’a remarqué Jean-Pol au commentaire précédent, e travail artistique de Josse est apaisant et repli de plénitude.
😉
vb
Passionnant – et émouvant – comme toujours, merci Vincent ! Moi, je découvre…
Merci pour ton commentaire. Si Lucterios aide à découvrir et/ou à comprendre, alors il remplit les espoirs que j’avais mis en lui.
Bises 😉
vb