Laurent Durieux revisite l’affiche de cinéma


Lucterios a recueilli les présentations de l’auteur et de Murielle Denis, commissaire de l’exposition à l’Abbaye de Stavelot

Laurent Durieux: ‘Le rétrofuturisme est vraiment fondamental pour moi. Je suis fasciné par cet univers qui entremêle science et imaginaire. S’y concentrent les idéaux portés par toute une époque, projetés vers un futur utopique comme vecteur d’une foi en les pouvoirs illimités de la science et du progrès.’

Laurent Durieux, The Wonderful Wizard of Oz, 2012 © Laurent Durieux / Bottleneck Gallery, New York

Murielle Denis précise: ‘Dans les domaines créatifs des années 1940-1950, comme le design ou le dessin, la tendance est à une esthétique qui imagine le futur de l’humanité, entre progrès et science-fiction. Partant d’innovations technologiques existantes, les artistes poussent encore plus loin leur imagination. Créer une architecture urbaine aux perspectives étonnantes dans laquelle se déplacent des voitures volantes aux lignes aérodynamiques, imaginer des robots présents dans le quotidien de l’homme, penser la maison du futur: tel est l’esprit inventif de l’après-guerre. L’innovation suscite une réelle fascination! La créativité de l’époque est sans limites et l’avenir de l’humanité est ressenti avec beaucoup d’optimisme. Ce courant artistique s’appelle le rétrofuturisme.’

Vue de l’exposition © Photo x
Vue de l’exposition © Photo x

‘Avec l’arrivée de l’informatique et de Photoshop dans les années 1980, l’art graphique des affiches de cinéma tombe en désuétude, privilégiant ainsi des affiches stéréotypées et peu originales. L’équipe de la galerie Mondo, composée de fans de cinéma et de comics, et lassée de ce manque d’originalité, décide de faire renaître l’art graphique de l’affiche de cinéma en faisant appel à des illustrateurs talentueux. La galerie est extrêmement exigeante quant à l’impression et au tirage et ne travaille qu’avec les meilleurs illustrateurs dans le monde. Mondo est le nec plus ultra en matière d’affiche alternative de cinéma et devient un phénomène éditorial mondial.’

Laurent Durieux, François à l’Américaine, 2015 © Laurent Durieux

‘Des réalisateurs s’intéressent aux créations inédites des illustrateurs travaillant pour Mondo. Ainsi, Steven Spielberg découvre Jaws (Les Dents de la Mer) revisitée par Laurent Durieux. Il a un coup de cœur et achète 25 affiches! Quentin Tarantino, Martin Scorsese, Francis Ford Coppola s’emballent pour l’originalité et la qualité graphique des créations Mondo, qui diffusent les multiples sérigraphiques en quantité limitée. Les affiches de Laurent Durieux, vendues sur le site de la galerie, s’envolent en quelques minutes vers des collectionneurs chanceux d’avoir décroché l’une d’entre elles.’

Laurent Durieux, Felix The Cat, 2011 © Laurent Durieux Illustration
Laurent Durieux, A Charlie Brown Christmas © Laurent Durieux / Dark Hall Mansion, Los Angeles

Laurent Durieux: ‘Alors qu’au début de ma carrière en tant que graphiste, le travail que je réalisais ne me rendait pas heureux, j’avais besoin de créer des univers différents dans un style rétrofuturiste que j’affectionne particulièrement. J’ai envoyé des dessins au prestigieux magazine publicitaire allemand Lürzer’s Archive, un magazine spécialisé qui compile ce qu’il y a de meilleur en matière de création. Ils ont publié les affiches de Felix the Cat et de François à l’Américaine. L’éditeur Dark Hall Mansion de Los Angeles m’a ensuite demandé un travail sur Charlie Brown et Snoopy. Et puis le célèbre éditeur et galeriste Mondo, situé à Austin au Texas, a pris contact avec moi. Cela a été le déclencheur d’un nouveau départ dans ma carrière. Je peux même dire que cela a changé ma vie du jour au lendemain. Mondo m’a commandé une illustration inspirée d’Iron Giant (Le Géant de Fer) de Brad Bird, un film culte aux États-Unis. Cette affiche pour laquelle j’ai beaucoup travaillé tout en étant conscient de l’enjeu, a été classée dans les meilleures de l’année 2011. C’était très difficile car ce thème avait déjà été abordé souvent et très bien. Après réflexion, je me suis concentré sur une image qui ferait rêver. J’ai juste pris une scène où l’on perçoit que ce film est en fait un film sur l’écologie. Le succès fut inattendu et phénoménal.’

Laurent Durieux, The Iron Giant, 2011 © Laurent Durieux / Mondo, Austin

‘Contrairement aux illustrateurs américains, je ne vois pas l’intérêt de faire un trombinoscope du film et de tout montrer. Je préfère me concentrer sur un élément bien précis qui symbolise à lui seul tout le sens du film. C’est une manière de faire très européenne que n’ont pas les Américains. Comme je ne veux pas faire ce qui a déjà été fait, je vais chercher plus loin. Tout s’est alors enchainé. La galerie m’a commandé King Kong et une revisite des classiques des films d’horreur des Universal Studios comme Frankenstein et La Momie. J’ai proposé une vision très différente du marketing de l’époque, le défi et la mission de l’affiche alternative étant de faire fi des impératifs de communication racoleurs.’

Laurent Durieux, Frankenstein, 2012 © Laurent Durieux / Mondo, Austin

‘Francis Ford Coppola a voulu travailler avec moi après avoir découvert mon affiche pour Jaws de Steven Spielberg. J’ai dû le faire attendre trois ans à cause de mon agenda. J’ai d’abord revisité l’affiche du Parrain et il a adoré. Ensuite, Apocalypse Now pour la ressortie du film en blu-ray et bien d’autres: Cotton Club, Tucker, The Conversation. Et puis il y a eu Jaws… On se souvient de l’affiche officielle créée par Roger Kastel en 1975. Une énorme tête de requin occupe les trois-quarts de l’image. La bête est prête à bondir sur une jeune femme nageant paisiblement à la surface de l’eau. L’image est glaçante. Elle deviendra iconique! Ce fut pour moi un fameux défi de proposer une image alternative pour ce film. Alors, j’ai pris le contrepied de ce qui était attendu. Une plage sur la côte américaine, un après-midi paisible et ensoleillé. Avec cette affiche, j’ai voulu m’amuser avec les gens. Je connais un peu les fans des Dents de la Mer — ils veulent des crocs, du sang. Je me suis dit: je vais m’amuser avec vous, je vais réaliser une affiche que vous n’attendez pas! Ne croyez pas avoir tout compris tout de suite.’

Laurent Durieux, Jaws, 2013 © Laurent Durieux / Mondo, Austin

Murielle Denis: ‘Rien de spécial en apparence pour une affiche dédiée aux Dents de la Mer de Steven Spielberg. Un peu trop carte postale selon certains: le phare, la plage, le parasol et un calme apparent. Mais à y regarder de plus près, on observe le parasol dont une partie est coloré en noir. À cet instant, le malaise est immédiatement palpable; on y reconnaît la forme d’un aileron de requin. Le danger est imminent. C’est une question de minutes! Le dessinateur est reconnu pour son sens du remake, de la suggestion. Tout son talent consiste à extraire la teneur d’un film, en dégager tous les codes et en retranscrire l’atmosphère en une seule image.’

Vue de l’exposition © Laurent Durieux / Abbaye de Stavelot
Laurent Durieux, Rear Window, 2014 © Laurent Durieux / Mondo, Austin

Enfin, la chose est suffisamment rare et doit être signalée: les textes de présentation sont rédigés en quatre langues, le français, le néerlandais, l’allemand et l’anglais. Effectivement, cette exposition mérite un public international, aussi bien pour le sujet présenté que pour la qualité du travail graphique, la présentation aux cimaises et le lieu exceptionnel. 

Vue de l’exposition © Laurent Durieux / Abbaye de Stavelot
Vue de l’exposition © Laurent Durieux / Abbaye de Stavelot

Laurent Durieux revisite l’affiche de cinéma
Abbaye de Stavelot
Cour de l’Abbaye, 1 – 4970 Stavelot
Du 19 juin 2025 au 11 janvier 2026
Du mardi au dimanche de 10 à 18hrs
Les lundis pendant les congés scolaires
https://abbayedestavelot.be/expositions/exposition-laurent-durieux/

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2 réponses à “Laurent Durieux revisite l’affiche de cinéma”

  1. Je remercie Lucterios de m’avoir fait découvrir l’artiste Laurent Durieux, un auteur remarquable!J’espère que cet auteur connaît le livre »Prochainement dans cette salle – Chronique de l’affiche du cinéma » par Rik Stallaert et Robbe de Hert -,1995: une mine formidable!Mes tableaux préférés dans cette présentation: Charlie Brown, Le Géant de Fer ( j’ai le film ), Jaws ( affiche achetée à 25 exemplaires par Steven Spielberg ) et Fenêtre sur cour: des merveilles! Existerait-il un catalogue de cette exposition??

  2. Bonjour, il n’y a pas eu de catalogue édité à l’occasion de cette exposition à Stavelot, mais il existe un excellent ouvrage intitulé « Mirages, tout l’art de Laurent Durieux » qui présente l’intégralité des affiches de Durieux commentées par l’auteur. Et pour les fans qui ne regardent pas à la dépense : «Laurent Durieux « Écrans de papier » Livre luxe Tirage Pigmentaire 120 ex N° signé» Laurent Hennebelle Éditions.

    A noter aussi un incroyable film documentaire sur Laurent Durieux et son travail, intitulé « Out of the Box » qui fut projeté au cinéma Versaille de Stavelot à cette occasion (le plus vieux cinéma de Belgique en activité).

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