Jusqu’au 30 juin prochain, vingt-deux sculptures monumentales du Chat, dont deux inédites, déambulent au Parc Royal de Bruxelles. Après Paris, Bordeaux, Caen, Genève, Monaco et Montreux, elles posent leurs valises dans la ville de coeur de Philippe Geluck, à un miaulement du futur Musée du Chat et du Dessin d’humour. Pour qui a déjà eu le plaisir de voir l’une ou l’autre de ces manifestations, celle de Bruxelles serait la plus réussie car elle rassemble les sculptures en un seul endroit bien dégagé, dans un écrin de verdure remarquable où la coloration verte du bronze s’intègre à merveille à l’environnement, en toute quiétude, avec une mise en valeur qui ne souffre d’aucun parasitage. Déambuler dans ces conditions printanières est idéal.
Depuis longtemps Philippe Geluck modèle sa créature de papier dans la terre glaise, en petit, puis en grand, pour s’amuser, ou peut-être, tout simplement, pour se reposer du dessin, et aussi parce que Philippe Geluck est un infatigable curieux qui aime les défis. Le Chat, tout plat quand il est dessiné en deux dimensions, devient volume, et acquiert ainsi une mesure et un format supplémentaires. Avec le temps, chacune de ces maquettes concrétise le corps du félin de manière de plus en plus large. Passant de la terre au bronze, elles gagnent en taille, en densité et en poids. Jusqu’à ces récentes et énormes pièces hautes de plusieurs mètres, sous lesquelles on éprouve la même sensation que la première fois où l’on s’est trouvé aux pieds de l’Atomium, à Bruxelles: une impression d’amplitude, qui fait la nique aux statues gigantesques et écrasantes que les dictateurs font élever à leur gloire. Car ces Chats de bronze flirtent avec les bulles et les montgolfières. Leur poids serait-il en quête de légèreté? Cette impertinence du ton contraste avec leur apparence obèse. Le sourire jovial des nombreux visiteurs en dit long…
Le premier dessin de Philippe Geluck qui a marqué les esprits — son faire-part de mariage — représente un couple de chats qui fornique. De un on passe à deux, et bientôt trois, ou plus, selon la portée. Trois, c’est le nombre de cases du premier strip paru dans Le Soir le 22 mars 1983, dispositif qui devient la norme de la série, et, pour beaucoup, la marque de fabrique: le Chat flanqué de deux phylactères. Un, deux, trois, et même vingt, puisque le titre choisi pour la rubrique est L’humour en 20 leçons. Les 15.560 publications hebdomadaires qui suivent pendant 35 ans ne peuvent le contredire. Ainsi, dès le début et jusqu’à aujourd’hui, c’est un principe d’expansion qui bâtit l’oeuvre.
Si le dessin du Chat était maigrichon et chiffonné dans les premiers gags au début des années 1980, il s’est bien vite tendu comme un ballon que l’on gonfle. Son corps s’amplifie au fur et à mesure du temps parce que les divers processus qui le représentent suivent le même chemin. Suite au premier recueil en 1986, il était logique qu’avec la dernière page du Soir, chaque samedi, l’auteur accumule les moyens variés: découpages, emprunts, assemblages typographiques, collages, détournements, interventions, références à l’art ancien ou contemporain, etc. Tout y passe. Pendant des années, ces pages servirent de terrain de jeu et de laboratoire d’où aucune trouvaille n’est exclue, exploitée dans tous les sens, quitte à revisiter et réinterpréter l’un ou l’autre gag jadis imaginé par un confrère. S’étendre, prendre du volume, toujours davantage. L’oeuvre se constitue à partir de ces dispositifs d’expansion, dont, par exemple, le film présenté à la grande exposition aux Beaux-Arts de Paris en 2003, qui montre 300 manières de figurer le Chat, en deux et/ou trois dimensions. Sans compter les événements et installations dans les domaines les plus surprenants, surtout là où on ne s’y attend pas!
Le processus s’étend avec l’utilisation des technologies les plus récentes, les capsules télévisées qui mélangent et superposent les animations 2D, 3D, les stop-motions, les smartphones, la réalité augmentée et les réseaux sociaux comme Instagram, Facebook, YouTube. Le Chat assure une présence permanente sur son site officiel, La Gazette du Chat, la boutique en ligne, une publication pour chacun des grands événements, et n’hésite pas à en proposer des éditions personnalisées. Enfin, une publication spécifique à l’événement Le Chat déambule révèle les petits et grands secrets de ces sculptures, depuis leur conception jusqu’à leur réalisation.
Les artisans au savoir-faire inégalé, sans qui ces sculptures ne pourraient exister, travaillent près de chez nous. L’éloge que leur fait Philippe Geluck rejoint une série de préoccupations dans l’air du temps, car ces compliments sont aussi un hommage du dessinateur-sculpteur envers celles et ceux qui concrétisent l’oeuvre en lui offrant la qualité de leur maestria.
Le Chat est une success-story qui ne doit rien au hasard, au point qu’il faudrait la montrer en exemple dans toutes les écoles où la communication s’enseigne. Philippe Geluck a débuté sa carrière tout au bas de l’échelle, sans la moindre aide ou subside, et aujourd’hui l’artiste récolte les fruits d’un travail qui n’a jamais séparé l’oeuvre de sa promotion ni de sa diffusion. Le Chat, c’est aussi une PME qui fait vivre des dizaines de personnes, dont des sous-traitants, et fait rayonner Bruxelles et la Belgique à l’étranger. Avec le Chat, le communicateur exceptionnel qu’est Philippe Geluck, qui sent si bien d’où vient le vent, et le désir des gens de tout âge et de toute condition, offre des sourires de bonheur, et tant pis pour les grincheuses et les grincheux qui souhaiteraient prendre sa place… sans en avoir ni les capacités, ni le talent, ni le pouvoir d’imagination.
Le Chat déambule
Parc Royal, 1000 Bruxelles
Jusqu’au 30 juin 2023
Tous les jours de 8 à 22 heures
Entrée gratuite dans ce parc public
https://lechat.com
https://lechat.com/lechatdeambule/exposition/
10 réponses à “Le Chat déambule au Parc Royal de Bruxelles”
Walked through there the other day – they’re HUGE!
yes Tom, huge indeed,
Vincent, bravo! Tes 15 dernières lignes sont super justes!
Merci Jean-Louis, car que l’on aime ou pas, il faut rendre à Philippe Geluck ce qui lui appartient. En son temps, il y a un siècle environ, Marcel Duchamp le prédisait: « L’oeuvre, c’est aussi la gestion de l’oeuvre ». La plupart n’y pense pas, ou échoue. Disons qu’il y aurait comme une sélection naturelle 😉
Philippe Geluck qui démarre « au bas de l’échelle »?! Didier Geluck, son père, dessinateur de presse, en charge de « Progrès Film », aurait été ravi de ce qualificatif! A trop vouloir encenser on déforce!
Faire de Philippe Geluck un « fils de… ». On aura tout lu, tout entendu. Faites ce que je dis, mais pas ce que je fais. Il n’y a pas que l’amour qui rende aveugle.
Hello Vincent,
Très bien écrit (comme toujours).
Au-delà des polémiques autour du Geluck « businessman », j’avoue avoir été impressionné par la force et la créativité qui se dégage de cet ensemble de sculptures en me promenant dans le parc !
Bonne semaine 😉
Pat
ohé Patrick, si cela t’a plu, tant mieux. Ce qui m’a étonné, c’est la mine réjouie des gens. Un détail: les guides touristiques qui passent du parlement vers le palais royal, font le détour sous la pression des étrangers. Apparemment, le Chat est plus apprécié hors de nos frontières ! Nul n’est prophète en son pays.
tu la fais quand ta rétrospective au Parc Royal ?
😉
vb
Excellent ! J adore 🥰 merci Vincent
Salut Margot, cela fait longtemps ! Content que tu aimes, tu as vu sur place ? Impressionnant.
Bises 😉
vb
Perso, je trouve ça super chouette !
Hello Patrick, moi aussi je trouve cela chouette et super. N’écoutons donc que notre plaisir sans amertume.
😉
vb
Le chat peut être vu comme une facilité: un assemblage de cercle concentriques, le plus large pour la tête, le moyen pour le nez, les petits pour les yeux, les minuscules pour les pupilles. Pas de quoi faire un personnage populaire avec si peu? Pourtant ce fut le cas dans la genèse de Tintin, cette simple bulle! C’est donc si simple? Eh bien si vous le pensez, essayez donc ! On dira qu’Hergé a inventé 250 personnages originaux et que son oeuvre peut donc sembler bien plus riche, mais 1: pourquoi comparer ce qui n’est pas comparable, y compris avec deux époques très différentes, et 2 : le Chat est pluriel: il a fait des petits, créé d’autres décors, s’est ébroué sur tous les créneaux de la dérision. Et pas seulement elle. Certes, ce sont surtout graphiquement des variantes, mais c’est comme le big bang: en gonflant depuis trente ans, il élargit l’ univers dont il est le centre insignifiant mais qui finit par signifier quelque chose, du moins pour ceux qui s’arrêtent et vont plus loin que la jalousie: » Bah, c’est facile, je peux le faire aussi! » Qu’attendez-vous alors?
Personne n’en parle mais il me semble que Geluck a relancé le fameux Almanach Vermot, créé en janvier 1886 par son auteur éponyme, un joyeux fourre-tout hybride où l’on trouve de la dérision, de l’humour de troupier, du second ou troisième degré, voie plus, de l’absurde, de la bêtise, et cela dans la foulée d’un Alphonse Allais et les plaisantins du… Chat Noir, en somme précurseurs, avec des des platitudes bien belges, de chez nous, mais que nous seuls pouvons comprendre, et surtout un sens du ridicule qui ne tue pas, comme d’autres s’étranglent de vanité. l’auto-dérision. Quand on voit le Maréchal Pétain avec un dé à coudre, sous-titré: Pétain coud, c’est certes idiot, mais marrant et délicieusement irrévérencieux. Quand le chat, chrono en main, dit: 43′ 17 » 25 »’: ma femme vient de s’améliorer au triathlon : lessive-vaisselle-repassage, il en dit long sur la condition des femmes, et quand il affirme, en trois cases, qu’il y a des bouquins qui rendent intelligents/le problème/c’est qu’il faut déjà être intelligent pour arriver à les comprendre, alors il soulève la question de la transmission de la culture, ce qui n’est pas rien quand même! En revanche, oui, il peut agacer aussi par ses « emprunts » récurrents. ainsi avec le Chat soupirant: » Quand je vois ce que je vois, et que j’entends ce que j’entends, je suis content de penser ce que je pense », il ne cite pas son papa Geluck mais un proverbe Vaudois évoqué par San Antonio alias Frédéric Dard dans son autobiographie « Je le jure », parue en 1978. Geluck fait feu de tout bois, mais en même temps il nous réchauffe. Alors basta pour ces larcins dont il se sert: quand on sait que les « grands intellos » de service d’une certaine caste franco-française se pillent et copient allégrement entre eux, par pages pleines ( BHL notamment) n’en faisons plus un plat.
Le chat nous fait réfléchir en trois cases, tandis que des prétentieux pédants n’y arrivent pas en trois cents pages, alors disons à ceux qui lui reprochent son succès simplement ceci: si cela vous dégoûte, détournez-vous, barrez-vous. Une personne sensée n’aura jamais l’idée de rentrer dans un restaurant qui propose une cuisine à laquelle il est allergique, alors où est le problème? Pourquoi simplement se taire, hausser les épaules, et passer son chemin? Le paradoxe Geluck était déjà celui du cinéma de Pagnol, dont le critiques se gaussaient dans les années trente, en disant : » cela plait à tout le monde, sauf au public ».
Au plus fort d’une récente polémique, une artiste a cru bon pester contre le projet de création du futur Musée du Chat. Elle-même exposait alors au Wiel’s avec d’autres grands novateurs. Pas n’importe quoi: une fresque répondant je suppose à des interrogations ou des tourments métaphysiques dont nous étions invités à décrypter le message sibyllin sous forme de copies de …prescriptions médicales. Il aurait été intéressant de les punaiser sur les branches des arbres du Parc Royal ces autorisations de délivrance de psychotropes qui sont, je suppose, des marqueurs civilisationnels. On aurait pu les comparer avec le Chat visiblement déragé, lui aussi. Je gage que cela provoquerait moins de sourires que le félin en folie…