À la Foire du Livre, Conversation en Tandem…


Depuis les années 1971, les Éditions Tandem réalisent un travail aussi discret qu’indispensable. À l’origine, il s’agissait d’organiser des expositions afin d’encourager les jeunes créateurs du monde des images imprimées à assumer le délicat passage vers le monde professionnel. Textes et images, la première collection de livres, voit le jour en 1984. Travail artisanal exemplaire, modeste mais de qualité irréprochable, chaque ouvrage se compose entièrement à la main, et est imprimé sur une presse ancienne, avec des encres et un papier de qualité. Chaque élément constitutif du livre est choisi en fonction de la mise en valeur de l’oeuvre dont il est le support, et chaque ouvrage est une nouvelle aventure, conçu avec l’auteur et l’éditeur comme si il était le premier. Un seul lien lien l’ensemble: le format.

Le résultat est évidemment exceptionnel. Le ton est donné, et depuis plus de 50 ans les Éditions Tandem restent fidèles à cette philosophie de contenus et de forme graphique qui se passent des diktats du marché et de la primeur de la rentabilité à tout prix. Depuis, plusieurs autres collections ont vu le jour, Alentours, Portefeuilles, Monographies, Histoire(s) en image, Carnets de voyage. L’ensemble fait le tour des biais et des points de vue par lesquels l’auteur, et le public, peut aborder la création imprimée.

Joseph Beuys, Conversation avec Eddy Devolder, 1998 / Gabriel Belgeonne, Conversation avec Eddy Devolder, 2018

La collection Conversation avec… retient notre attention aujourd’hui, avec la publication du petit dernier, le volume 99 dédié à Johan De Moor, qui converse avec Vincent Baudoux. Pour l’anecdote, le volume 100, Gabriel Belgeonne, conversation avec Eddy Devolder, est sorti… en 2018 déjà. Le clin d’oeil du centième numéro était réservé à Gabriel Belgeonne, fondateur, animateur, âme et cheville ouvrière des Éditions Tandem — sans oublier Thérèse Dujeu, sa femme, avec qui il roule en tandem éditorial depuis les débuts. Un second clin d’oeil célébrait le 20e anniversaire de la collection. Le troisième clin d’oeil boucle la boucle, car ce numéro 100 est confié à Eddy Devolder, l’ami fidèle dès le début, qui a aussi assumé le numéro 1 consacré à Joseph Beuys.

Cette centaine d’opuscules est bien connue des amateurs autant que des spécialistes, parce qu’elle met en présence un artiste reconnu et un intervieweur qui est lui aussi un nom dans le monde académique et/ou éditorial. On y trouve des artistes réputés, ou moins connus. Certes, la collection ne prétend pas être complète ou systématique, ou partisane; elle se construit au gré des opportunités. Avec le temps, cette collection s’est imposée, remplissant le rôle que devraient tenir les services publics. Le temps a permis aussi d’imposer une identité visuelle, avec la couverture d’un monochrome variable pour chaque volume, la présentation typographique invariable, son format de 18×11 — quasi identique au smartphone — conçu pour tenir facilement en main. La meilleure des qualités est ainsi offerte au prix de revient, cette prouesse n’étant possible que par le bénévolat de chacun des intervenants.

Pierre Kroll, Conversation avec Vincent Baudoux, 2012 / Josse Goffin, Conversation avec Vincent Baudoux, 2015

Vincent Baudoux a réalisé six Conversation avec… La première en 2002 est consacrée à Ever Meulen. La seconde, en 2012, raconte des échanges avec Pierre Kroll. Josse Goffin est rencontré en 2013. Suivent Nicolas Vadot en 2015, et puis Royer dont c’est la dernière publication avant son décès en 2018. La Conversation avec Johan De Moor a été plus laborieuse à mener. Entamée en 2013, divers aléas sont intervenus, accidents, maladies, et la crise du Covid, qui ont à chaque fois repoussé l’échéance. Faut-il encore présenter Johan? Anversois nourri aux grandes traditions culturelles flamandes, mais francophone, Johan a décidé il y a longtemps de s’installer dans un des quartiers populaires de Bruxelles. Ceci lui donne un regard acerbe et décalé, sans concession, son humour ravageur étant nourri d’une impertinence qui pourrait être la soeur de celle pratiquée en son temps par Tijl Uilenspiegel. Pour mémoire, la légende de Tijl, d’origine germanique, apparaît vers 1500. L’auteur belge francophone Charles De Coster l’actualise en 1867, en faisant de Tijl un vagabond coquin et rusé qui combat la domination espagnole sur la Flandre du 16e siècle. Quelques années plus tard, en 1882, Friedrich Nietzsche publie Le Gai Savoir, qui situe la source de la connaissance et de la lucidité dans l’espièglerie et l’impertinence des troubadours, jusqu’à Gargantua et Pantagruel de François Rabelais. Tout ceci, culturellement intégré et nourri de l’actualité contemporaine, forme le socle où s’épanouit l’humour de Johan.

Johan De Moor, invitation pour l’exposition au CBBD, 2000 © Johan De Moor

Johan De Moor, Conversation avec Vincent Baudoux, 2023
Johan De Moor, illustration extraite de Johan De Moor, Conversation avec Vincent Baudoux, 2023 © Johan De Moor
Johan De Moor, illustration extraite de Johan De Moor, Conversation avec Vincent Baudoux, 2023 © Johan De Moor
Johan De Moor © Johan De Moor

À la Foire du Livre, Conversation en Tandem…
Éditions TANDEM
Place de l’Hymiée, 42
B — 6280 Gerpinnes
https://editions-tandem.be
fa223238@skynet.be

Conversation avec Johan De Moor
ISBN 978-2-87349-152-9
15 euros


Une réponse à “À la Foire du Livre, Conversation en Tandem…”

  1. Belle, longue, et sans cesse déjantée vie à toi Johan qui à l’art d’en tirer le meilleur profit et qui l’illustre à ta manière unique, magique et prolifique. Quel peï ce type !

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