Nicola Magrin, Del cielo e della terra


Nicola Magrin, vue de l’exposition. Photo x

Jean-Michel Folon ayant acquis la notoriété internationale avec ses travaux réalisés à l’aquarelle, il n’est pas surprenant qu’une expo de l’aquarelliste italien Nicola Magrin, né en 1978, se tienne à la Fondation Folon de La Hulpe. On connaissait Nicola Magrin pour ses portraits de jeunesse allant plutôt dans le sens de la tradition, jusqu’à ce qu’un voyage dans le Grand Nord canadien en 2012 agisse comme une révélation digne de Saint Paul sur le chemin de Damas: l’attirance pour la solitude des grands espaces sauvages, vides, qui n’ont que faire de l’agitation humaine.

Nicola Magrin, sans titre, 2025 © Nicola Magrin

Cette première image en témoigne. Elle représente un homme seul face à la grandeur et l’incertitude des éléments. Vue de dos, la petite tache noire et son ombre avancent vers un monde autre, et elles s’éloignent vers une falaise dont on ne peut évaluer la distance. Est-elle proche ou lointaine? Rien ne permet de le déterminer avec précision. Ce pourrait être un mur de neige, une nappe de brouillard ou une vague surgie de l’océan. L’idée de représentation s’y engloutit, s’y dissout. Et si la partie supérieure de l’image peut se lire comme un ciel étoilé, on peut aussi l’interpréter comme une myriade de particules minuscules, anonymes, comme l’atomisation de l’unité individuelle qui définit le sujet humain depuis des millénaires en Occident, et qui culmine avec le narcissisme contemporain dont le selfie est le symbole.

Nicola Magrin, vue de l’exposition. Photo x

L’aquarelliste a illustré The Call of the Wild, le roman de Jack London qui relate comment un chien domestique, éduqué puis vendu comme chien de traîneau à l’époque de la ruée vers l’or, revient à ses instincts naturels une fois confronté à la rudesse du territoire du Grand Nord. Ou encore Walking de Henry David Thoreau, qui fait l’éloge de la marche à pied, dans le cadre d’un retour et d’une communion avec la nature. On retient aussi l’illustration du long discours que fit le chef indien Seattle en 1854, quand le gouvernement américain souhaitait acheter leurs terres aux Indiens. On y lit: ‘L’homme blanc traite sa mère la terre, et son frère le ciel, comme des choses à acheter, piller, vendre, comme les moutons ou les perles brillantes. Son appétit dévorera la Terre et ne laissera derrière lui qu’un désert.’ […] ‘La Terre n’appartient pas à l’homme, l’homme appartient à la Terre.’ Outre ces illustrations, Nicola Magrin réalise des couvertures pour des livres de Primo Levi et de Paolo Cognetti, avec des récits qui évoquent l’expérience de l’homme confronté aux forces sauvages qui régissent la vie humaine et la nature.

Nicola Magrin, vue de l’exposition. Photo x

Pour le grand public, l’aquarelle est une technique à la portée du premier venu. Toutefois, la technique du papier sec diffère radicalement de celle du papier humide. Ce dernier propose des effets distincts suivant le support sur lequel le papier se pose avant, pendant ou après le travail, et selon la manière d’utiliser l’eau — pure ou mélangée à un autre liquide — ainsi que la méthode de séchage. La variété des pigments offre une large palette de possibles, depuis la qualité et la rareté des ingrédients jusqu’à leur finesse de broyage, ainsi que des ajouts qui valorisent l’éclat de la couleur et sa conservation. Certains artistes n’hésitent pas à y ajouter par exemple du miel, de la glycérine, du sel, du fiel de boeuf ou tout autre produit chimique de synthèse. Dans le cas de Nicola Magrin, il semble qu’il n’hésite pas à ajouter de l’encre de Chine diluée, et de la gouache épaisse. Les aquarellistes disposent des dizaines de modèles et de qualités de pinceaux et de brosses qui diffèrent dans leur capacité de capillarité et de rétention du pigment et du liquide. Beaucoup d’outils, non conventionnels et inattendus, peuvent intervenir à l’un ou l’autre moment du processus, comme des variétés d’éponges, de chiffons, de coton, voire de brosses à dent, des spatules en bois, des lames d’acier ou du film alimentaire.

Nicola Magrin, vue de l’exposition. Photo x

Ainsi, chaque créateur, selon sa curiosité et son sens de l’aventure, se distingue par ses tours de main, ses astuces, et souvent ses petits secrets de métier. Nonobstant les paroles de la comptine ‘La peinture à l’huile, c’est plus difficile, mais c’est bien plus beau, que la peinture à l’eau’, si le papier, le pigment et le pinceau constituent les trois éléments de base, chacun de ces ingrédients se décline en dizaines de variantes, ce qui aboutit à des milliers de combinaisons possibles… sans compter que la manière d’utiliser une même brosse ou un même pinceau varie d’une main à l’autre. Quel que soit le critère envisagé, Nicola Magrin est un maître.

Nicola Magrin, Passi silenziosi nel bosco (Pas silencieux dans les bois), 2021 © Nicola Magrin

Être un virtuose du métier, c’est bien. Mais, pour faire œuvre encore faut-il que ce savoir-faire soit en adéquation parfaite avec le contenu de l’image. Cette aquarelle se construit en quatre plans distincts: les troncs verticaux à droite bouchent l’idée de profondeur. Le regard ricoche alors vers la gauche où, en plan moyen, quelques bouleaux et deux personnages vus de dos portent leur regard vers le lointain. Au même endroit mais vers le haut, et consommant moins d’espace encore, un vol de grues se dirige vers un horizon… suggéré, puisque hors de portée des yeux, mais que l’imagination perçoit immense pour cette raison. Le trajet du regard passe donc de la texture détaillée des troncs d’arbres vers un lointain dématérialisé, imaginaire, vers l’évidence du blanc du papier aquarellé et du pigment qui s’y dépose en séchant: la narration rejoint le médium. L’un ne se différencie plus de l’autre.

Nicola Magrin, Haïku, 2024 © Nicola Magrin

Enfin, la dernière partie de l’exposition valorise l’attirance de l’artiste pour un certain art oriental, en présentant ses productions récentes. Ces aquarelles se veulent équivalentes des haïkus dont elles s’inspirent, c’est-à-dire des productions dont l’économie des moyens et l’épuration formelle sont menées à leurs limites, tout en provoquant les résonances les plus larges, les plus intenses, les plus longues et les plus évocatrices possibles. Dans Toutes réflexions faites, Sacha Guitry évoque cette résonance de manière admirable: ‘Lorsqu’on vient d’entendre un morceau de Mozart, le silence qui lui succède est encore de lui.’ Comme les haïkus, ces dessins réalisés sur le mode visuel empilent la gamme la plus étendue des ressentis, et ils mobilisent des émotions provenant des autres sources de perception dont la machine corporelle est dotée, du souvenir, de la mémoire individuelle et collective, des craintes et des désirs. Comme les haïkus, ces aquarelles s’enrichissent ainsi de la diversité multisensorielle… qu’il est compliqué d’exprimer par les mots.

Nicola Magrin, Del cielo e della terra
Fondation Folon
Drève de la Ramée, 4
1310 La Hulpe
Du 08 novembre 2025 au 01 mars 2026
Du mardi au vendredi de 09 à 16 heures
Week-end et jours fériés de 10 à 17 heures
Fermé les 24 et 25 décembre, ainsi que le 31 décembre et le premier janvier 2026
https://fondationfolon.be/visiter/preparez-votre-visite/

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2 réponses à “Nicola Magrin, Del cielo e della terra”

  1. Le chef indien Seattle avait parfaitement raison et fut prophétique car que c’est très exactement ce qui se passe en ce moment. L’exposition est magnifique, comme la terre l’est aussi… Mais l’imbécillité rédhibitoire des humains, animaux cupides, agressifs, dominateurs et insensibles à la poésie qui nous entoure et protège, détruit de facto le monde et nous pousse dans un suicide collectif. Nous n’aurons laissé que des superbes images prises par ceux qui auront sonné -mais vainement- l’alarme. Il ne nous reste donc plus que les larmes pour pleurer. Merci donc à Nicola Magrin et aux artistes qui embellirent notre aventure collective qui finira hélas dans le vide intersidéral….

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