La Maison de l’Image chez Seed Factory présente actuellement une exposition remarquable. Elle montre comment le monde de la publicité rencontre ses objectifs en invitant d’autres pratiques graphiques que les siennes, par exemple l’illustration et la bande dessinée. Ajoutons immédiatement que la proposition est tout aussi vraie dans l’autre sens, car loin d’un rapport de domination, il y a là un win-win qui enrichit toutes les parties.

Il faut saluer le travail remarquable d’Alain Lachartre, auteur du fameux Objectif Pub de 1986, qui remet le couvert aujourd’hui avec son nouvel ouvrage du même nom qui actualise le propos. Chaque grand nom des organismes publicitaires, des produits et des marques dont on fait la promotion, et des auteurs qui offrent leurs services sont présents à ce rendez-vous exceptionnel. L’auteur montre aussi que depuis près de quarante ans, la société a bien changé, et que chacune des disciplines représentées ici évolue et s’adapte au temps présent.

Une importante section est consacrée à des auteurs moins médiatisés, qui ont mis leur talent au service de marques moins établies, ou au service de causes humanitaires, culturelles, ou tout simplement non commerciales. Non seulement leur travail mérite autant le respect, mais la qualité de ces œuvres ne doit rien aux plus grands noms. Ainsi, Objectif Pub & Co est une exposition dont on se délecte autant qu’elle informe et fait réfléchir. Un exemplaire du catalogue qui reprend la totalité des oeuvres exposées est offert à chaque personne présente au vernissage, le jeudi 9 mars dès 19h30.

Alain Lachartre a bien fait de débuter ses recherches au début du 20e siècle, car c’est à peu près le moment où ce que l’on n’appelle pas encore la publicité se met au service de la société de consommation de masse. Cela ne signifie pas que les périodes précédentes ignoraient les diverses formes de communication visuelle. On pense par exemple à la bande dessinée, dont on s’accorde à fixer la date de naissance avec l’oeuvre de Rodolphe Töpffer, qui a vécu de 1799 à 1846. En Occident, l’illustration existe depuis les premières images qui accompagnent un récit, depuis les livres enroulés de plusieurs mètres de long appelés Volumen que l’on trouve déjà trois millénaires avant notre ère en Égypte. En nos contrées, elle s’épanouit avec la littérature destinée à la jeunesse, nécessitée par les apprentissages liés à l’enfance à partir de 1650 environ. La pratique du graphisme ne débute-t-elle pas dans les grottes de la préhistoire, se confondant aux premières formes connues d’écriture? Les techniques de l’imprimerie n’ont-elles pas donné au graphisme un souffle nouveau par ses capacités de diffusion massive?

Si l’histoire de l’affichage public démarre dès la plus haute Antiquité, en Grèce antique ou à Pompéi par exemple, plus près de chez nous il faut attendre L’Affaire des placards en 1534 pour en trouver un premier exemple de diffusion à grande échelle. En 1539, le roi François Ier exige que ses ordonnances soient connues de tous: « Après avoir été publiées à son de trompe et cri public, elles seront attachées à un tableau et écrites sur des parchemins en grosses lettres.» Il faut toutefois attendre la lithographie, inventée par Aloys Senefelder en 1796, puis les innovations de Jean-Alexis Rouchon, en 1844, pour que les affiches commencent à ressembler à ce que nous connaissons aujourd’hui: des grands formats en couleurs. Quelques chefs-d’œuvre en sortiront, signés Henri de Toulouse-Lautrec, Pierre Bonnard ou Jules Chéret. Leurs productions, toutes splendides soient-elles, ne peuvent être prises en compte par le curseur que Alain Lachartre a bien dû situer quelque part sur l’échelle du temps.

Il est à parier qu’une mise à jour sera à nouveau nécessaire dans les décennies à venir. Non seulement parce que le temps passe avec son lot de nouvelles productions, mais aussi parce que les besoins changent et que les techniques de vente s’adaptent à leurs publics. Peut-être encore parce que l’explosion des nouvelles technologies redéfinit à la fois les outils et les acteurs de la communication. Cette déflagration implique aussi la manière de penser, de vivre ensemble et de partager. La communication visuelle ne peut plus être la même avec les manipulations frénétiques et stupéfiantes des accrocs du smartphone — en attendant la suite. Il faut compter encore avec l’apparition des influenceuses et influenceurs, avec les expériences immersives, avec l’interactivité, avec les balades sensorielles, les algorithmes et l’intelligence artificielle, etc.

Que deviendront, et comment pratiquer ce que nous appelons aujourd’hui la bande dessinée, l’illustration, la typographie, le graphisme… et la publicité dans cet environnement, aussi nouveau et aventureux que si nous étions sur la lune? L’histoire de la communication visuelle est ainsi faite de secousses qui redéfinissent les pratiques et mettent en cause l’habitude des acquis. De gré ou de force, pour le meilleur et pour le pire, nous vivons désormais dans une ère nouvelle, qu’un jour il faudra décortiquer afin de voir et comprendre comment elle fonctionne. Un nouveau chapitre de l’histoire s’écrit sous nos yeux, mais avons-nous les outils et le recul nécessaires pour l’analyser et connaître son fonctionnement? Et peut-être en imaginer le récit dans ce beau livre qui reste à écrire?

• Objectif Pub & Co
  La Maison de l’Image / Seed Factory
  avenue des Volontaires 19 (métro Pétillon)
  1160 Bruxelles-Auderghem
  Du 09.03 au 30.06.2023
  Du lundi au vendredi de 9 à 18 heures
  Fermé samedi et dimanche ainsi que les jours de congés légaux
  Entrée gratuite
  www.seedfactory.be
• Objectif Pub, la bande dessinée et la publicité
  Alain Lachartre
  ISBN : 978-2-3904-1012-6
  Champaka Brussels / Dupuis, 2023
  www.dupuis.com