Portrait of a Lady


La Fondation Boghossian présente jusqu’au 4 septembre Portrait of a Lady, une exposition dans l’air du temps, issue du questionnement quant à la place des femmes dans l’art. Comme souvent en ce lieu exceptionnel, les œuvres présentées entretiennent un fructueux mélange historique, géographique et culturel. Faut-il rappeler que la vocation de la Fondation Boghossian est le dialogue, par l’art, des cultures d’Orient et d’Occident?

Des choix judicieux

Lalla Essaydi, Les Femmes du Maroc, 2009, © L’artiste et Fondation Boghossian 

Les choix de la commissaire d’exposition Louma Salamé son nets. La moitié des œuvres exposées ont été produites après 1960, parce que c’est à ce moment que les femmes du monde occidental recueillent le fruit des mouvements féministes depuis la fin du 19e siècle. Il s’en suit une série de mouvements dont #MeToo semble être le plus présent dans les esprits. Auparavant, depuis des siècles, les femmes ont été sous-représentées dans le monde de l’art, marginalisées souvent, sous l’emprise du regard masculin toujours. Nonobstant leur date d’effectuation, les oeuvres sont regroupées sous cinq thématiques intitulées À l’Origine; Femmes dans un intérieur; Nue: modèle, muse; Portraits et autoportraits, et La question du genre. Il faut préciser encore que l’exposition ne se limite pas seulement à des tableaux ou des sculptures, mais présente aussi des installations, des vidéos, des performances enregistrées, de la participation active, soit une belle panoplie des formes artistiques les plus présentes de l’art actuel.

Coups de coeur

Comme il est illusoire de vouloir rendre compte de chacune des 85 œuvres ici présentées, même en quelques mots, on se contentera de quelques jalons — subjectifs — de lieu et de temps, tout en présentant nos excuses aux artistes et leurs oeuvres non évoqués. Un de ces coups de coeur va à Harem #18 Triptysch de Lalla Essaydi, en 2009, qui représente une femme dans un intérieur traditionnel du Maroc. La belle alanguie fait partie du décor, littéralement, ses vêtements reprenant les motifs de la couche, et les parties visibles de son corps décorées de peinture au henné. Il est difficile de décrire mieux ce qu’est la femme-objet… tout en ne sachant pas ce qui l’attend, qui elle attend, ni ce que pourrait être la suite du scénario. Tout autre est le contexte qui sous-tend les arts anciens considérés comme étant primitifs. Ce que l’on appelle Vénus préhistoriques le sont-elles vraiment? Il semblerait plutôt qu’il s’agisse de statuettes destinées à être portées en bijoux, peut-être lors de cérémonies. Selon des constatations récentes, la trace d’empreintes féminines, voire d’enfants, au plus profond des grottes laisserait à penser que des femmes ont participé à la création de cet art pariétal réalisé il y a plusieurs milliers d’années.

Statuettes préhistoriques © Fondation Boghossian 

Dans le même ordre d’idées, il est logique de montrer deux statues africaines, plus récentes, mais qui offrent une même vision de la fertilité féminine. Toutes exhibent les signes de la prochaine maternité, par la nudité enflée des seins, du ventre, des fesses. Une peinture intitulée La Rencontre de la reine de Saba avec Salomon qui illustre l’épopée légendaire d’une des premières femmes reines. Cette image montre à elle seule l’intérêt du dialogue culturel: en effet, pour le récit biblique, la reine rend visite au roi, tandis que le récit coranique insiste sur la conversion de la reine. Les Coptes et les Éthiopiens proposent d’autres variations encore.

Seydou Keita, sans titre, © L’artiste et Fondation Boghossian 

Un trait d’union ?

James Ensor, L’antiquaire, 1902 © Belfius et Fondation Boghossian 

Le tableau de James Ensor intitulé L’antiquaire, peint en 1902, pourrait être une sorte de résumé de l’exposition. Paul Bueso, l’ami du peintre, est portraituré devant quelques peintures et sculptures proposées par son établissement. Sur les murs des chefs d’œuvres représentent le destin de quelques femmes remarquables: une annonciation, Cléopâtre se préparant au suicide avec un aspic, Lucrèce qui choisit de se percer le cœur avec une dague. Mais aussi une statuette grecque antique en l’honneur de la beauté féminine, une autre statuette asiatique qui pourrait figurer un transgenre. Si d’autres tableaux et objets sont plus difficilement identifiables, ce tableau figure exactement ce qui se passe à la Fondation Boghossian: une exposition où les styles, les époques et les provenances devisent entre elles.

Aujourd’hui

Elina Brotherus, Fenêtre aux thuyas, 2018 © L’artiste et Fondation Boghossian 

Elina Brotherus a choisi de travailler in situ, créant des images spécialement pour l’occasion. S’agit-il d’un autoportrait? Le modèle pose devant une des fenêtres — fermée — de la Villa, son vêtement est assorti à la végétation environnante, et à la structure sombre du vitrage. La couleur de sa chevelure est identique aux boiseries. des sols. Elle est à la fois figée et en marche, dedans tout en étant dehors, comme l’indique son regard. Tout à sa songerie, elle semble interroger son statut: L’artiste fait-elle partie d’un lieu privilégié dédié à la Culture, ou à la profusion chaotique du monde?

Rosemarie Trockel présente une série de portraits que rien ne distingue de la banalité. Impression renforcée par la mise en scène standard de la photo d’identité, et du format d’affichette qui n’hésite pas à exhiber son peu de valeur par des marques de dépliage comme autant de défauts que nul maquillage ne tente d’occulter. Tout change lorsqu’on apprend que chacun de ces portraits est le fruit d’algorithmes, des images statistiques, de calculs, et non pas de personnes réelles, vivantes, au corps de chair et de sang. On ne peut poser un questionnement plus actuel, quand on sait que le métavers fait déjà un peu plus que pointer le bout de son nez parmi nous.

Rosemarie Trockel, 12 portraits, © L’artiste et Fondation Boghossian 

Un peu d’interactivité

L’interactivité s’invite avec Empathy Museum, qui propose A Mile in My Shoes, où la visiteuse ou le visiteur est invité.e à porter une paire de chaussures de son choix, puis à écouter le récit correspondant à l’image que ces chaussures véhiculent. Bien entendu, ces chaussons, brodequins, et autres socques de toutes natures sont typiques d’une profession ou d’un état social, et renseignent sur la condition de celle ou celui qui les porte. Voici donc une manière très concrète de ressentir le monde par le biais d’un autre costume, et par le regard de l’autre. Dans le même état d’esprit, Sylvie Fleury et Hans Peter Feldmann exposent de très élégantes chaussures à talons. L’une de ces paires est en bronze, pesant plusieurs kilos, tandis que les semelles de l’autre sont garnies de punaises. Nul pied pourtant ne portera jamais ces écrins à première vue désirables.

Empathy Museum, One Mile in My Shoes © L’artiste et Fondation Boghossian 

Un Musée de l’Homme au féminin?

Visiter Portrait of a Lady à la Fondation Boghossian est comme visiter Le Musée de l’Homme du Palais de Chaillot à Paris, où on voyage dans le temps, de la préhistoire aux productions les plus contemporaines. La visiteuse ou le visiteur découvre ici les richesses d’autres cultures par le seul biais de la représentation de la femme dans l’art. En plus des aspects pédagogiques et éducationnels, de la remise en place de quelques a priori, des réflexions qu’ils suscitent, l’expérience devient un agréable exercice de révision de l’histoire de l’art, depuis les origines jusqu’à nos jours, partout dans le monde. À voir, absolument.

Portrait of a Lady
Fondation Boghossian,
Villa Empain, avenue Franklin Roosevelt 67
1000 Bruxelles
Jusqu’au 4 septembre
du mardi au dimanche de 11.00 à 18.00h
info@boghossianfoundation.be

La fois prochaine, quelques dessins de presse pour l’Ukraine


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