Small is beautiful…


Biennale internationale Petit Format de Papier 

En 1973, il y a cinquante ans, le premier choc pétrolier ébranlait l’organisation économique de la planète. Quelques sommités ont immédiatement compris que l’avenir ne serait plus ce qu’il était, et qu’il était urgent de remettre en cause la croissance économique quand elle imaginait les ressources naturelles comme un revenu, et non comme un capital. N’ayant pas suffisamment tenu compte de ces avertissements, nous commençons aujourd’hui à en payer le prix. 

Martijn in’t Veld, I stopped making work for free, 2022 © l’artiste 

Parmi ces publications du début des années 1970, Small is Beautiful de Ernst Friedrich Schumacher fait date. Il est à noter que plusieurs ouvrages, aussi prémonitoires que bien documentés, ont été édités simultanément sur des sujets fort proches, en plusieurs endroits du monde à la pointe du progrès technologique, ce qui indique une prise de conscience plus importante qu’on ne le dit. L’idée flottant dans l’air du temps, il ne faut pas bien longtemps pour qu’elle se concrétise dans le monde de l’art, chez nous grâce à Gabriel Belgeonne, qui propose un concept innovant, appelé à un bel avenir. C’est ainsi qu’aujourd’hui se tient la 21e Biennale internationale Petit Format de Papier.

Véronique Cordonnier, Diviser, 2022 © l’artiste 

L’idée est d’imaginer une forme d’art dont l’empreinte énergétique serait minimale, et pour laquelle l’artiste qui joue le jeu se plie à une suite de contraintes rétives à tout gaspillage. À commencer par un format standard A4 de papier qui peut être envoyé par la poste de n’importe où dans le monde, mais aussi limité en taille, en poids et en épaisseur. Certes, l’artiste ne participe que s’il est invité, mais une fois cette étape franchie, chaque œuvre est exposée, sans la moindre censure. Tous les envois reçoivent le même traitement aux cimaises: un même cadre, un passe-partout identique, et une scénographie pareille, ce qui garantit la valorisation égale pour tous. Pas de passe-droit donc, ni d’avantages accordés aux notables de la scène artistique. On appréciera également la loupe mise à disposition pour qui souhaite scruter le moindre détail des œuvres de si petit format. 

Vladimir Milanovic, Untitled, 2017 © l’artiste 

On se met à rêver, à imaginer que les vedettes de l’art acceptent ces conditions, alors qu’elles ont l’habitude des meilleurs des égards. Leurs productions seraient-elles aussi nettement au-dessus du lot que leur statut privilégié le laisse croire? On pourrait pousser l’expérience plus loin, en choisissant l’anonymat, par l’absence d’information ou de la signature qui oriente déjà la perception du spectateur. Que se passerait-il si l’exposition était ouverte aux anonymes, aux non-artistes? Voici qui pourrait être instructif, et, on l’espère, amusant. 

Arefeh Riahi, Twelve Surfaces and Nineteen Folds – 1, 2022 © l’artiste 
Arefeh Riahi, Twelve Surfaces and Nineteen Folds – 2, 2022 © l’artiste

La sélection parmi les 241 artistes invités peut se partager entre deux types de productions. D’une part les auteurs qui ne changent rien à leur manière de faire, et qui réalisent en petit et sur papier ce qu’ils conçoivent habituellement en formats plus étendus sur d’autres supports. D’autre part, celles et ceux qui conçoivent leur participation à partir de la contrainte A4, et de ce qu’autorise ou refuse le médium papier (Ainsi, par exemple, Bernard Boigelot, dont les recherches s’organisent exclusivement autour du timbre-poste.). Cette manière de faire n’est-elle pas la plus intéressante, car génératrice de solutions peut-être pas envisagées jusque-là? 

Rod Summers, VEC minimal, 2022 © l’artiste 

Une exposition dédiée au petit format permet en outre une perception d’ensemble dans un espace relativement réduit: plusieurs dizaines d’œuvres sont visibles en un seul coup d’œil, là où plusieurs salles d’un musée « grandeur nature »seraient nécessaires. Une telle vision globale incite à un classement par groupes. Il y a les adeptes du monochrome, par exemple, et celles et ceux qui à l’inverse s’offrent l’entière palette des couleurs. Les artistes pour qui l’écriture manuelle, individuellement différenciée, est le socle de leur pratique, à l’inverse des partisans du ready-made, du ready-print. On distingue très bien les tenants de l’image la plus narrative, avec éventuellement quelques collages, à l’opposé des surfaces abstraites où la matière picturale et les textures sont l’objet de leurs attentions. Toutes les techniques sont présentes, du simple dessin à la mine de plomb à la gravure, et les outils numériques. Bien entendu, rares sont les pièces exposées qui s’en tiennent à un seul de ces ingrédients, la plupart jouant du mélange à doses variables de l’un et de l’autre. 

Sanne Vaassen, No man’s land, 2022 © l’artiste

 

Parmi cette abondance de propositions, notre subjectivité s’est laissée séduire par les pop-ups, ces pliages qui transforment les deux dimensions du A4 en volume. Leur fascination vient du fait que cela fonctionne comme un jeu où l’enfance resurgit. L’attrait vient aussi du fait que ces œuvres recueillent le monde dans sa grandeur, sa multiplicité et sa complexité, comme l’univers dans une coquille de noix. Ainsi Sanne Vaassen, qui déchire un globe terrestre fait de papier, et place les morceaux dans un sac, plat, transparent. La même artiste découpe des lignes de frontières d’un atlas, et les assemble bout à bout, en une ligne continue en un enchevêtrement digne de Pollock, mais volumétrique.

Rod Summers, artiste aux facettes intermédias multiples mais toujours enracinées dans son concept VEC (Visual, Experimental, Concrete) propose un petit ruban en papier rouge sur fond blanc, qui, quand il se déplie, évoque les montagnes russes, le graphisme d’un électrocardiogramme ou des cours de bourse, soit les hauts et les bas de la vie. L’artiste propose ici le A de l’alphabet, la lettre de tous les débuts, de tous les possibles.

Arefeh Riahi présente (avec mode d’emploi) une maquette architecturale d’un habitat iranien traditionnel qui se traduit en douze surfaces et dix-neuf plis. L’imagination aidant, on se retrouve dans un palais des Mille et Une Nuits. 

Le catalogue reprend l’ensemble des pièces exposées, avec une page par artiste, l’œuvre de Nismes cohabitant avec celle exposée à Charleville-Mézières. Il se présente au format du tiers de A4. Sobre, bien mis en page, il reprend de manière claire toutes les informations nécessaires pour garder une trace agréable de cette belle exposition. Small is Beautiful… quand il est pensé et organisé dans le moindre des détails, et porte en lui un peu de l’air du temps. 

Michel Barbier, Affiche de l’exposition © Michel Barbier

Biennale internationale Petit Format de Papier


Musée du Petit Format, Centre Culturel Action-Sud
Rue Bassidaine 6
B ­— 5670 Nismes
Du 3 septembre au 2 octobre
Du lundi au vendredi de 09 à 12h et de 13 à 16h
Le samedi et le dimanche de 14 à 18h
https://www.museedupetitformat.be/blog/bi22
www.museedupetitformat.be

Musée de l’Ardenne
31 Place Ducale
F — 08000 Charleville-Mézières
Du 9 octobre au 31 décembre
Du mardi au vendredi de 09 à 12h et de 13.30 à 17.30h
Le samedi et le dimanche de 14.30 à 17.30h
www.charleville-mezieres.fr/le-musee-de-lardenne

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