Posada, sous le soleil de Mexico


La façade de la librairie Posada à Bruxelles © photo Remy Bellenger éditeur 

Jusqu’en 2011, à deux pas de la Grand-Place de Bruxelles, face à l’église de la Madeleine, la librairie Posada était devenue le repaire des bibliophiles en quête de livres d’art introuvables et précieux. Un département de plusieurs milliers d’ouvrages était consacré au dessin. Cette caverne d’Ali Baba était tenue par Martijn Oleff, un colosse hollandais aux moustaches impressionnantes. Ce fin connaisseur vouait un amour sans borne à l’oeuvre méconnue de José Guadalupe Posada, au point d’en donner le nom à son établissement.

Sous le soleil de Mexico

Posada, Calavera de Don Quichotte © Mercurio López Casillas, Mexico 


Né au Mexique en 1852, Posada est non seulement un dessinateur précoce, virtuose, mais aussi un technicien de premier plan. À l’académie, il choisit la gravure et de la lithographie. À 19 ans, il publie déjà des illustrations dans El Jicote, (détournement humoristique de El Quijote — Don Quichotte), un hebdomadaire satirique dans la ligne de Le Charivari. Pour mémoire, la publication française est bien connue des éditeurs et dessinateurs mexicains à l’aube de la mondialisation éditoriale. Ils souhaitent distraire leurs lecteurs par la satire, prenant pour cible tous les pouvoirs, quels qu’ils soient. La publication s’expose ainsi à de fréquents procès et condamnations, un esprit frondeur convient fort bien à Posada.

Un esprit libre

Posada, Calavera des balayeurs © Mercurio López Casillas, Mexico 


L’esprit libre de Posada est confronté à des choix cornéliens, car plusieurs factions rivales se disputent le pouvoir: l’Église, le régime laïc plus qu’autoritaire du président Porfirio Diaz, les révolutionnaires qui leur sont opposés. La rigidité de ces institutions exige l’obéissance aveugle, car le refus ou le simple questionnement de leur intégrisme est considéré comme un acte hostile. Elles ont pour point commun la volonté de réduire tout contre-pouvoir, que ce soit l’un ou l’autre parti d’opposition, des associations, etc. Les informations distribuées par le biais des imprimés sont particulièrement visées, à un âge où ni la télévision ni les réseaux sociaux n’existent. Et donc la composante satirique de la presse sera à la botte ou ne sera pas. Comment un esprit rebelle à tout embrigadement comme celui de Posada peut-il naviguer parmi ces diktats exclusifs? D’autant que la satire bon enfant et farouchement indépendante de l’auteur ne souhaite épargner rien, ni personne.

La voix du peuple

Posada, Le clown mexicain © Mercurio López Casillas, Mexico 
Posada, La guerre du Texas © Mercurio López Casillas, Mexico 

Posada vit de commandes que les éditeurs lui adressent au coup par coup, aussi bien des illustrations pour des livres populaires bon marché, contes et devinettes, chansonniers, livres de cuisine et de couture ou d’astrologie, que pour des ouvrages commerciaux, graphisme de boîtes d’allumettes, étiquettes, jeux, images religieuses, affiches de spectacles, etc. Il travaille à la pige pour de nombreux journaux, ou des feuilles volantes issues de l’actualité et destinées aux classes populaires pas forcément lettrées. Ceci rappelle l’immense succès des images d’Épinal, en France, au même moment, quand des colporteurs sillonnent le pays afin de vendre les bricoles indispensables mais que l’on ne peut fabriquer soi-même, comme des aiguilles et des remèdes, des images et amulettes de protection, etc. En France, pour attirer le chaland, des vendeurs ambulants se font accompagner de spectacles de marionnettes, dont Guignol est le symbole le plus connu en nos contrées. Si le personnage de Guignol n’existe pas au Mexique, des bonimenteurs captivent leur public en s’improvisant gazette locale, orale, toujours sur le ton de la plaisanterie et du comique. Leur empathie appuie le bon côté des choses tout en les critiquant, et raconte la ruse et l’ingéniosité des exploités qui triomphent des pouvoirs en place. Ainsi, Posada innove avec Les Aventures de Don Chepito Marihuano, vieillard acariâtre et naïf qui se fait toujours bastonner par des femmes ou voler par des brigands, mettant ainsi les rieurs de son côté.

Contraintes et astreintes

Posada, Notre Dame de Zapopan © Mercurio López Casillas, Mexico 
Posada, Evénement édifiant et véridique: les véritables causes du tremblement de terre du 2 novembre © Mercurio López Casillas, Mexico 


Cette volonté de s’adresser au peuple à partir de ce qui l’intéresse fait que nombre de ces publications concernent les faits divers locaux autant que les catastrophes naturelles, les intrigues réelles ou supposées, les crimes sordides relatés avec moult détails vrais ou imaginaires, l’oppression religieuse, les petits secrets des grands personnages, les scandales, des tribunes contre les révolutionnaires ou au contraire contre les dérives du gouvernement. Pour des raisons de coût, donc de prix de vente, ces publications peu luxueuses sont imprimées rapidement et sur du papier de mauvaise qualité, avec des encres médiocres. Ceci oblige les dessinateurs à concevoir leurs productions à partir de ces astreintes matérielles, mais aussi en réponse au lectorat populaire qui n’a aucune envie de se prendre la tête. Pour le convaincre, les images doivent être simples, instantanément lisibles, sans comporter la moindre possibilité d’interprétation erronée. Posada excelle à composer à partir de ces contraintes qui auraient gêné plus d’un créateur jusqu’à la paralysie. Grâce à sa connaissance des outils et du métier, et à son inventivité technique exceptionnelle, Posada s’en délecte, et invente un langage visuel peu académique mais juste, et en parfaite adéquation avec les contenus exigés.

La mort lui va si bien

Posada, Grande bringue: danse, musique et ivresse © Mercurio López Casillas, Mexico


On associe souvent Posada aux squelettes nommés Calaveras, un mot qui signifie aussi fêtard, ou noceur en argot mexicain. S’il n’est pas le créateur du genre, loin de là, Posada est toutefois celui dont les images restent en mémoire car exprimées avec le plus de force et de percussion visuelle. Souvent, elles sont accompagnées d’un texte humoristique décrivant une personne encore bien en vie. Contrairement à la tradition européenne qui figure la mort de manière épouvantable, la culture mexicaine représente ses morts comme de bons vivants. Point de danses macabres ici, ni de cadavres vermoulus ou en décomposition, ni de squelettes qui se disputent pour un hareng saur comme chez James Ensor, mais des confiseries multicolores en forme de crânes dégustées au moment de la fête des morts les premiers jours de novembre. Voici plutôt une joie de vivre qui mélange la ferveur catholique à la gourmandise et à la liberté de ton propre à la culture mexicaine.

Posada, Calavera garbancera © Mercurio López Casillas, Mexico 

Posada coiffe souvent son squelette du couvre-chef qui le définit, ce qui lui permet de caricaturer une fonction ou une personnalité sans la nommer. L’habit faisant le moine, l’auteur évite ainsi la censure, tout en amusant le lecteur. La plus célèbre est Catrina, squelette féminin coiffé d’un large et luxueux chapeau. Elle figure ces pauvres qui singent les riches en s’habillant de manière ostentatoire. Posada se moque par là et sans le dire de la bonne société et de ses manières. L’image rencontre un succès inespéré, au point que la Catrina est devenue une figure emblématique du pays. Ironie suprême, Posada, son créateur, finit indigent et oublié. Sa dépouille déversée dans une fosse commune, il est devenu un squelette anonyme qui rejoint ainsi, pour de vrai et pour l’éternité, les images qu’il aimait tant dessiner.

Posada, génie de la gravure
Musée de l’Image
42 Quai de Dogneville, 88000 Epinal
Jusqu’au 18 septembre
Tous les jours sauf le lundi de 10h à 12h, et de 14h à 18h
Du 1er juillet au 31 août, ouverture supplémentaire le lundi après-midi
https://museedelimage.fr

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7 réponses à “Posada, sous le soleil de Mexico”

  1. Merci pour cet article. Lors de mes passages à Bruxelles, je ne manquais jamais de faire un tour dans cette fabuleuse librairie Posada. Une vraie caverne d’Ali Baba ! C’est probablement là que j’ai acheté l’ouvrage richement illustré sur l’œuvre de ce redoutable illustrateur mexicain qui se trouve dans ma bibliothèque.
    P.R.

    • Avec le recul, cette librairie et son libraire ont vraiment joué un rôle important, si j’en crois le nombre de message qui me parviennent en disant la même chose. Dank U mijnheer Moustache 😉

  2. Oui c’était vraiment magique de se rendre chez ce couple d’érudits collectionneurs qui tenait Posada! On ne dira pas la même chose de certaines librairies bien (trop) connues sur les grands-boulevards…
    Martijn, entre autre passionné de typographie et d’art graphique, m’avait offert cette anthologie de Posada (une «brique» brune) qu’il avait édité à compte d’auteur. J’y ai aussi découvert et acheté le double volume (coffret cartonné) de [Aragon. Henri Matisse, roman] . Au moment de le payer, il a appelé son épouse, car le prix indiqué au crayon ne reflétait pas du tout la valeur réelle de ce coffret rare et précieux, vu son parfait état de conservation. Il m’a dit en se passant la main sur le crâne: «bon bîn âââlôôôr… c’est cadôôô de la maison». J’y ai trouvé une autre perle, le catalogue de l’exposition à Beaubourg «Maïakowski. 20 ans» mis en page par le génial Roman Cieslewicz, graphiste attitré du Centre Georges Pompidou pendant de nombreuses années.

    • Collectionneurs éclairés, et amis, oui. IL faut se souvenir qu’à ce moment, à la seconde moitié du 20e siècle, internet et les moteurs de recherches n’existaient pas encore. Posada était une sorte de mémoire vivante. Jeune étudiant à Saint-Luc, j’y ai trouvé un livre de Steinberg: une révélation. Collectionneurs passionnés et passeurs, transmetteurs. De chouettes personnes.

  3. Merci Vincent
    Passionnant !
    J’ai trouvé “l’astronomie populaire” de Camille Flammarion chez Posada !
    Le début d’une passion.

    • Bonjour Bernadette, comment naissent les passions? Il n’y a pas de formule, seulement des hasards, ou alors des rencontres. Et cela tient souvent à si peu de choses. Avec le recul, je comprends un peu mieux le sens de ton travail 😉

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