Après avoir été inauguré en septembre 2022 à Madrid, où il a fait sensation, Le Labyrinthe de Tim Burton fait actuellement escale à Paris, à l’Espace Chapiteaux du Parc de La Villette, jusqu’au 20 août 2023.
Il y a longtemps que l’on attendait une oeuvre conçue dès le départ pour les spécificités d’une exposition immersive, car les réalisations proposées jusqu’à présent étaient toutes dédiées à des artistes décédés dont l’oeuvre originale avait été pensée dans un autre but. D’autre part, il est à craindre que les frais exorbitants de telles manifestations les limitent aux seules stars capables de s’offrir un tel jouet, et que la peur du bide fasse basculer l’expérience artistique en consommation culturelle digne des émissions télévisées en faim d’audimat. Le risque de surenchère technologique étrangère à la démarche du créateur est aussi à prendre en compte. La vigilance et l’intégrité de l’artiste sont donc nécessaires sur plusieurs fronts s’il ne souhaite pas ramener son oeuvre à un simple prétexte.
Le visiteur plonge dans une oeuvre immersive comme il le ferait dans l’eau d’une piscine. Les cinq sens sont sollicités, car ils sont à l’affût de la moindre information issue de cet environnement peu familier. Dans un musée, bien au sec, la vision claire, on ne court pas, on ne touche pas, on ne manipule pas, on ne fait pas de bruit, on n’élève pas la voix, on bride les sensations de son corps. La perception visuelle exclusive induisant la distance, il en résulte un silence où l’on se recueille comme en présence du sacré. La déférence, voire la soumission ne sont pas loin. Ce n’est pas ce que désire Tim Burton, dont l’oeuvre cinématographique célèbre une fantaisie proliférante où l’extravagance et l’agitation ne sont jamais très loin.
Les films classiques vus en salle de cinéma se déroulent de manière linéaire, avec un début, un milieu et une fin. Le spectateur ne peut rien y changer, pas plus qu’il ne peut accélérer ou ralentir le tempo, voir réaliser un arrêt sur image. Par contre, l’exposition de La Villette s’organise à partir des éléments les plus spectaculaires des films, pris séparément, les costumes, les décors, les accessoires, les musiques, les bruitages et les jeux de lumières, chacun de ces éléments pouvant déclencher l’arrêt plus ou moins long, et renvoyer à l’un ou l’autre élément, sans ordre narratif. Voilà pourquoi la présentation s’intitule Le Labyrinthe de Tim Burton, car elle suggère 300 parcours potentiels. La dimension est à la hauteur, si l’on ose le dire ainsi, puisque qu’elle nécessite 5000 mètres carrés, ce qui représente l’aire d’un terrain de football environ. Le visiteur déambule ainsi à sa guise parmi les décors, les objets et les accessoires qu’il a vus au cinéma, accompagné des ambiances musicales, des jeux de lumière, comme s’il était dans les coulisses d’un tournage.
En bonus, l’exposition présente une centaine d’esquisses de la main de l’artiste. Ces dessins préparatoires sont la base qui aide les équipes de production à visualiser concrètement l’imagination du créateur. Le Labyrinthe de Tim Burton est aussi à comprendre dans un autre sens, puisque cette exposition permet de pénétrer dans le monde déjanté et baroque de cet auteur atypique. Reste une question d’envergure: la matérialisation de rêveries et de fantasmes ne brise-t-elle pas l’imagination qui en fait tout le sel?
Il faut rappeler le titre de quelques films parmi les plus marquants de Tim Burton depuis 1988: Beetlejuice, Batman, Mars Attacks!, La Planète des singes, Big Fish, Charlie et la Chocolaterie, Alice au Pays des Merveilles, Dumbo… Tous ont pour dénominateur commun d’être d’époustouflants spectacles de foire, conçus afin d’épater le public. Selon les dires du cinéaste, si «un film est une psychothérapie très chère que les studios ne comprennent pas toujours», alors on comprend combien chacun de ces récits est le miroir obsessionnel de son créateur. Il poursuit: «J’ai toujours aimé les monstres et les films de monstres. Ils ne m’ont jamais fait peur. Mes parents disaient que rien ne m’effrayait, que je regardais tout et n’importe quoi. Et tous ces trucs sont restés en moi. King Kong, Frankenstein, Godzilla, L’Étrange Créature du lac noir, ils se ressemblaient tous… mais justement, ils dégageaient tous quelque chose qui me plaisait terriblement. J’avais le sentiment que la plupart de ces monstres étaient souvent incompris et qu’ils avaient généralement plus de cœur et d’âme que les humains autour d’eux». Et encore: «Mon truc à moi ce sont les monstres. Déjà, môme, je les aimais. Je me sentais proche d’eux: en marge de la société et incompris, comme eux. De plus, j’ai toujours eu un faible pour les outsiders, ceux que l’on pense méchants alors que, en fait, ils ne le sont pas. Ce sont des personnages attachants, très intéressants à explorer». La notion de normalité semble être le terreau dans lequel l’oeuvre de Tim Burton s’enracine: «L’idée de montrer un monde des vivants beaucoup plus mort que celui des morts et de juxtaposer les sentiments que ça m’inspire m’est venue très tôt. Ça remonte en fait à mon enfance: je me souviens d’avoir éprouvé dès cette époque le sentiment que ce que les gens considèrent normal ne l’est pas, et que ce qu’on appelle anormal ne l’est pas davantage». Le cinéaste ajoute : «Beaucoup de gens me demandent à quel moment je ferai enfin un film avec des personnes réelles? Mais qu’est-ce que la réalité?».
L’oeuvre de Tim Burton aurait-elle pressenti l’ère des Fake News qui deviennent la communication normale, et de l’intelligence artificielle qui s’additionne au monde virtuel? Plus fondamentalement, on sait que la rêverie irrationnelle façonne l’âme humaine depuis les origines de l’humanité, ce que résume parfaitement le mot de Paul Valéry: «Que serions-nous sans le secours de ce qui n’existe pas?».
Tim Burton, Le Labyrinthe
Espace Chapiteaux du Parc de La Villette
Quai de la Charente — 75019 Paris
Du 19 mai au 2 juillet 2023, heures d’ouverture variables selon les jours et les semaines
Du 3 juillet au 20 août 2023, tous les jours de 10 à 21h
https://lavillette.com/programmation/tim-burton-le-labyrinthe_e1691
2 réponses à “Tim Burton, une première mondiale ”
Cette exposition vient à Tour et Taxi à partir du 20 octobre.
Nous irons sûrement….
Salut Thierry,
C’est la raison pour laquelle je rédige un second Lucterios sur le sujet à quelques mois d’intervalle. Il me semble qu’une telle manifestation vaut le déplacement.