Trois cartoons pour l’Ukraine


Vladimir Kazanevsky, Ukraine 22.03.2022 
© Vladimir Kazanevsky

Vladimir Kazanevsky

Vladimir Kazanevsky est un cartooniste ukrainien. Né en 1950, il a gagné plus de 500 prix internationaux au cours de sa carrière, ce qui établit sa carrure à l’échelle mondiale. Vivant et travaillant à Kiev, mais édité à l’international, il se savait une des cibles prioritaires de l’invasion russe en Ukraine. Aussi, il a reçu asile en Slovaquie, d’où il fait parvenir ses dessins d’actualité. Voici celui du 22 mars, lorsqu’est révélée l’existence des massacres de Boutcha. Alors qu’il n’est question que de boucherie et d’horreurs sanguinaires, le dessin de Kazanevsky choisit de n’en presque rien montrer. Toutefois, on sait le fusil russe puisque orné d’une des tours où se dresse l’étoile rouge symbolique. L’arme vue en légère plongée et les ombres au sol indiquent la visée, et le canon vu en gros plan montre que nous sommes à la place du tireur. Mais le sang ne coule pas, car il ne s’agit pas de vrais corps mais des leurres en carton comme à la fête foraine. Voilà ce que sont devenus ces réfugiés de tous âges, qui fuient après avoir tout perdu dans les ruines fumantes que l’on devine à l’horizon. Le tireur assassin réduit ces humains de chair et de sang à l’état d’épouvantails de papier sans la moindre épaisseur, à des cibles criblées de trous comme autant de papiers déchirés. L’envahisseur s’amuse, comme au tir aux pipes, car tout cela n’est qu’un jeu sans conséquences. Il prend du bon temps, et se détend, joyeux, insouciant, sourire aux lèvres. Demain, il recommencera.

Cost.

Cost., Ukraine le 27.02.2022 
© Cost. et JDD 

Cost. est né à Moscou en 1970, il vit et travaille à Bruxelles. Lui aussi est une bête des concours internationaux, où il truste les prix sans que sa renommée en fasse une célébrité dans son pays d’accueil, le notre. Deux de ses dessins récents ont été remarqués. Le premier invite lui aussi la thématique du jeu puisqu’il s’agit d’un castelet très coloré. Sur la scène, un joyeux nounours danse, tout en sourire. L’ourson est celui que les enfants serrent contre leur poitrine au moment de s’endormir, et à qui ils confient leurs peines et leurs joies du jour. Mais les chaises restent vides, les gamins sont rentrés chez eux, sans doute précipitamment car apeurés de la créature aux dents pointues et au regard féroce qui surgit de l’horizon. La bête qui charge s’accompagne de chars dégageant un rougeoiement funeste, ce qui ne présage rien de bon. Deux ours se confrontent en cette image: le petit, symbole du bonheur affectif, et le grand, symbole de l’agressivité sanguinaire. Contrairement au dessin de Kazanevsky, dans lequel les ombres sont quasiment inexistantes, ce qui indique la pleine lumière d’un jour radieux, le dessin de Cost. se réalise dans les tons sombres. La nuit tombe, car pour paraphraser Goya « le sommeil de la raison engendre les monstres ».

Cost., Ukraine le 27.03.2022 
© Cost. et JDD 

Le second dessin de Cost. semble de facture plus classique, puisqu’il prend prétexte du drapeau ukrainien bicolore, jaune comme les blés prêts pour la moisson, bleu comme un ciel sans nuages: un symbole du bonheur. Si pas un seul être humain ne peuple cette image, une telle ataraxie se trouble d’une flaque de sang qui déboule de l’horizon, ainsi que des fumées qui s’en échappent. Pourtant aucune noirceur ne trouble ces couleurs franches et pures. Rien ne les abîme. Dans un second temps seulement, on remarque que ce blanc, ce bleu et ce rouge qui flottent dans l’air sont ceux du drapeau russe. Quelque chose d’horrible se passe, que Cost. suggère sans le montrer. Tout est là, dans cette manière d’évoquer l’abjection de façon indirecte. L’imagination du spectateur fait tout, nourrie par ailleurs des récits lus dans la presse ou vus à la télévision. La magie du dessin de presse réussi oeuvre à plein car il montre des indices contradictoires, ceux du cauchemar qui se cache sous la sérénité.

La fois prochaine, une mélancolie rentable


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