Vacances à la mer


Frédéric duBus

duBus, La Libre Belgique / La Dernière Heure, 05.10.2022

Fred duBus a reçu hier soir, samedi 8 juillet, à Knokke-Heist, le grand prix Press Cartoon Belgium 2023, pour un dessin paru dans La Libre Belgique/La Dernière Heure le 5 octobre 2022. En Iran, la dictature religieuse au pouvoir ne plaisante pas: Mahsa Amini a été assassinée par la police des moeurs parce qu’une mèche de ses cheveux dépassait de son hidjab. Comment expliquer cette haine chez ces vieillards intégristes? Comment expliquer le port de la barbe abondante comme une crinière de lion, signe de pouvoir chez les dominants, et l’interdiction du moindre poil visible chez les dominées? La réponse se trouverait du côté de l’imaginaire collectif humain qui fait de la chevelure un objet quasi magique, à connotation érotique. La mèche de cheveux conserverait un rapport vivant et intime avec la personne qui la portait, même après sa disparition. En témoignent les reliques ou les médaillons contenant quelques cheveux de l’être aimé, ce qu’évoque si bien la chanson d’Adamo en 1966. Ce petit bijou intitulé Une mèche de cheveux dit avec les mots de tous les jours le pouvoir d’ensorcellement d’une simple petite mèche. Pour qui douterait encore du pouvoir sexuel imaginaire de la chevelure, on peut évoquer les dizaines de symboles qui s’y réfèrent, par exemple la tonsure des moines, ou la pratique millénaire des sympathisantes de l’ennemi tondues après la guerre. La Tondue, de Georges Brassens, dit l’horreur de ces accroche-coeurs mutilés.

Fred duBus inverse les rôles. La petite mèche envahit l’espace, sa douceur devient le tsunami de La Grande Vague de Kanagawa d’Hokusai, elle se transforme en tentacule géant, en un monstre aux crocs acérés devant lequel la fuite est la seule issue. Le corps de la bête-estomac réduit en bouillie ce qu’elle avale. La manière dont le dessinateur imagine ce scénario est remarquable: la violence se dessine avec autant de force et de souplesse que de précision, d’énergie incontrôlable, aveugle. Le despote barbu devient un fuyard déchu de toute gloire et de tout pouvoir, un pleutre. Fred duBus signifie le pétochard ventripotent et court sur pattes en quelques signes bien choisis, qui mettent en évidence son regard, ses sourcils et sa bouche. Cela suffit pour une efficacité graphique optimale. Le noir et blanc dit la dureté du propos quasi sans nuance. Aucun contexte de décor, ni de suggestion de profondeur ou d’espace, aucune explication verbale ou écrite ne sont nécessaires. Car comme le dit la formule, ce petit dessin muet vaut mieux qu’un long discours, et se comprend dans toutes les langues du monde.

“Je suis très content et très fier, mais toutefois mitigé, car j’ai un peu du mal à fanfaronner alors que des gens dégustent… Je me rends compte que je gagne ma vie sur le malheur du monde… et ce dessin ne va pas changer leur situation” confie le dessinateur. Le constat est amer, car il sait qu’un dessin, aussi bien réussi soit-il, n’empêchera pas la répression de se poursuivre, et les dictatures de se répandre un peu partout dans le monde où nous vivons.

Zak

Zak, De Tijd, 15.06.2022

Le second prix a été attribué à Zak, pour un dessin paru dans De Tijd le 15 juin 2022. Le dessinateur pince-sans-rire a l’art de ramener les grandes questions existentielles au plus prosaïque des quotidiens. Dans ce dessin réalisé en juin, des amis organisent un barbecue sous le soleil, comme l’indiquent les saucisses sur le grill, la mine ravie et le convivial verre d’apéro. Mais, à l’instar de l’actualité internationale du moment, il y aura d’abord un message du président Zelensky. Rappelons-nous, en effet, l’omniprésence du leader ukrainien parmi les médias, quand les instances internationales, et les parlements nationaux occidentaux se mettaient un point d’honneur à diffuser un message d’aide à l’Ukraine pendant l’agression subie par sa voisine russe. Comme souvent, le graphisme de Zak est proche d’une ligne claire plutôt cool, maigrichonne et limitée aux signes de reconnaissance, sans souci des détails, comme indifférente à son objet. Le dessinateur se distingue toutefois de ses confrères par l’utilisation d’une myriade de petits points qui donnent du corps et font crépiter chacune de ses images.

Kim

Kim, Apache.be, 11.05.202

Kim a empoché le troisième prix. Son image est parue sur le site Apache.be le 11 mai 2022. Une des techniques narratives mise au point ces derniers temps par le dessinateur est aussi élaborée qu’efficace… et difficile à pratiquer: le travail en quatre cases. Mais rien dans les trois premières ne laisse présumer de là où l’auteur souhaite en arriver. Ainsi, bien malin qui trouvera le dénominateur commun entre des clés, un chargeur, des plantes sur un bord de fenêtre… et un parti politique. Et pourtant la réponse est évidente, puisqu’il s’agit de l’oubli. L’oubli, tel est le lot du parti politique néerlandophone CD&V, en chute libre depuis des années alors que dans la seconde moitié du 20e siècle, il était de loin le premier parti du pays, fournisseur de quelques premiers ministres et détenteur de tous les postes décisionnels importants. Pour être compris, ce dessin a besoin d’explications, car aucun lien visuel ne permet de relier les quatre éléments. Ce décalage de temps entre la chose vue et la chose lue, puis comprise, est l’astuce par laquelle l’auteur pique la curiosité qui fait durer le plaisir.

Les 99 dessins de presse sélectionnés par le Press Cartoon Belgium parmi l’ensemble de la production belge en 2022 sont le gage d’une exposition de qualité. Ils voisinent les 471 envois venus du monde entier sous le titre Draw For Change! qui rend compte du sort peu enviable des femmes dans de nombreux pays. On y découvre également une série de cartoons censurés dans le pays de leur auteur. En un mot, voici une exposition qui invite à réfléchir tout en souriant, sans s’apitoyer sur les états d’âme de l’artiste. L’entre-soi si souvent étriqué du petit monde privilégié de l’art aurait intérêt à s’offrir plus souvent un tel grand bol d’air frais venu du large.

Knokke-Heist Cartoonfestival 2023
Tous les jours du 8 juillet au 27 août 2023
Heures d’ouverture non précisées
Entrée gratuite
Cultuurcentrum Scharpoord – Maxim Willemspad 1
8300 Knokke-Heist
https://www.knokke-heist.be/cartoonfestival-2023-echt
http://www.presscartoon.com/accueil

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