Une carte blanche signée Marianne Pierre
Le prix Tournesol est décerné depuis 1997 dans le cadre du festival d’Angoulême. Créé par le parti des Écologistes, il récompense une bande dessinée qui porte haut la couleur verte, que ce soit dans le domaine du sociétal ou environnemental.
J’ai eu la chance cette année de faire partie du jury, présidé cette année par Jean-François Julliard, directeur de Greenpeace France. Étant une professionnelle du monde de la BD, et ayant monté une asso de protection de l’environnement dans mon bled, j’avais les deux casquettes qui allaient bien. À mes côtés, l’auteur Ludovic Debeurme, l’ancienne sénatrice Marie-Christine Blandin, les lauréats 2024 Tristan Thil et Claire Malary, et Gilles Ciment, ancien directeur de la cité de l’image d’Angoulême.

Neuf titres étaient en lice pour 2025: Verts de Lacan et Besançon, Ce que je sais de Rokia de Simon et Vartuli, En marche ou grève de Snug, Pauvres bêtes de Coco, Horizons climatiques de Dion et Henrion, Le Royaume des Kapokiers de Troubs, Larzac de Terral et Verdier, Retour à Tomioka de Galandon et Crouzat et Verts de rage de Boudot et Piquet.
Quatre étaient en ballotage final: Verts , Ce que je sais de Rokia, Horizons climatiques et Retour à Tomioka. L’ensemble du jury a reconnu les qualités de ces très beaux titres.

Évidemment, fin du suspense, pour ceux qui ont un peu suivi, c’est le très beau Ce que je sais de Rokia qui l’a emporté. Tout le monde y compris moi, a été touché par cette première œuvre superbement mise en images, et par le récit tout en nuances et émouvant de sincérité non seulement de cette jeune migrante libérienne, mais aussi de celle qui accueille: car il n’est pas facile d’ouvrir sa porte à l’inconnu sans rien espérer en retour. De ce côté de la porte c’est beaucoup d’incompréhension, beaucoup d’espoir, parfois de la colère, mais surtout une belle leçon d’humanité. Les couleurs qui éclaboussent chaque case adoucissent un propos difficile à entendre.

Impossible de parler de cette sélection sans souligner la très belle surprise que fut Retour à Tomioka. Parce que parler des dangers du nucléaire à un public jeune (ou moins jeune) sans tomber ni dans une suintante mièvrerie ni dans une pédagogie à trois sous est une gageure. Évidemment on est au Japon, non loin de Fukushima. Deux orphelins veulent ramener les cendres de leur grand-mère près de la tombe de leur grand-père, à la ferme familiale. Mais la ferme est au beau milieu d’un territoire encore contaminé: no way. Alors, à la manière d’Eliott et ses copains qui veulent ramener E.T. à sa soucoupe volante, les enfants prennent le large en catimini, faussent compagnie à des adultes pas toujours très bienveillants, et entrent en zone interdite. L’excellente idée de ce road trip est l’irruption du folklore japonais, à savoir les yokaïs, ces esprits tourmenteurs et facétieux japonais. Ils symbolisent ici les peurs et les espoirs du petit frère, ainsi que le nucléaire, ce grand méchant loup qui explique bien que ‘sa nature est de détruire, doucement, insidieusement’. Ce n’est le procès de personne, c’est juste un constat.

Si Rokia m’a émue, si Retour à Tomioka m’a séduite, Verts m’a émerveillée… et intriguée. Pouvons-nous nous réjouir de cet avenir dans lequel nous serons tous peu à peu transformés en végétaux? Pouvons-nous sauter de joie à l’idée d’être digérés, dans un futur proche, par mère Nature? Il y a en fait deux façons de considérer cette histoire. D’abord, comme je l’ai fait, de façon optimiste: les humains font enfin corps avec leur environnement et vont connaître une nouvelle forme de vie, plus en harmonie avec leur planète. Puis, de façon pessimiste: un virus contamine l’ensemble des humains qui sont condamnés à se transformer en végétaux, et, ainsi, à être exterminés. Alors… vert à moitié plein ou vert à moitié vide?

Quoiqu’il en soit, Verts a aussi un discours politique (ce qui en faisait le candidat idéal pour le prix Tournesol!). Mis au ban de la société, les premiers humains végétalisés connaissent les tourments infligés aux minorités. Figures d’un avenir que beaucoup redoutent, ces bébés, ces hommes et ces femmes défigurés — ou ornés, selon le point de vue — d’excroissances branchues, feuillues, fleuries, sont ostracisés, persécutés. L’histoire hélas, sans cesse, se répète.

Alors finalement, comment lire Verts? Comme une belle promesse que finalement tout ira bien? L’ultime réconciliation? Ou l’ultime lutte humains VS nature — alert spoiler: les humains perdent. C’est là le tour de magie de Verts: il ouvre une réflexion, il pose des questions auxquelles je cherche encore les réponses. Pourtant ces visages illuminés, dans ce noir et blanc si élégant, me disent que l’être humain, comme tout être vivant, doit vivre en accord avec son milieu naturel. L’explosion de couleurs dans les dernières planches, qui sont de véritables tableaux aux multiples nuances de verts, est une ode à la vie, quelle qu’elle soit.